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La
domestication des animaux dans les Deux-Mondes et
l'âge de la pierre polie dans l'Europe
occidentale. (chap.II, §5) [....]. II n'y a pas
très longtemps qu'on faisait venir tous nos
animaux domestiques de l'Asie, surtout des
contrées arméniennes, sans doute en
réminiscence de la légende de l'arche de Noé.
Mais il serait difficile de faire admettre
aujourd'hui que l'Arménie est la contrée où le
lama et la vigogne ont été domestiqués par les
Péruviens, où le dindon l'a été par les
Mexicains, et le renne par les Lapons. On ne
saurait même citer aucune espèce domestique
dont l'origine arménienne puisse être établie
par des documents sérieux; tandis que l'étude
des aires géographiques et de l'histoire des
espèces et des races domestiques prouve que les
unes sont originaires de diverses régions de l'Asie,
que d'autres ont été domestiquées en Afrique,
et que d'autres l'ont été dans l'Europe
occidentale.[....]
Nous
répétons que les aires géographiques
restreintes des races chevalines
européennes, l'irlandaise, la
britannique ou boulonnaise, la frisonne,
la germanique, la belge ou ardennaise et
la séquanaise ou percheronne, indiquent
à elles seules que ces races sont
originaires des contrées de l'Europe
occidentale qui sont
suffisamment désignées par ces noms, et
que c'est là qu'elles ont été
domestiquées. |
Si elles
étaient originaires de l'Asie, elles y auraient
encore des représentants, et elles auraient
laissé des traces de leur passage sur la route
qui les aurait conduites de l'Asie dans l'Europe
occidentale.[....]
Les
paléontologistes et les archéologues ont émis
sur la domestication de ces races des opinions
.... divergentes [....]
On
peut toutefois, pensons-nous, considérer
leur accord comme unanime sur les deux
faits suivants : les hommes
paléolithiques de l'Europe occidentale
ne possédaient aucune de nos espèces
herbivores à l'état domestique, tandis
que leurs successeurs de l'âge de la
pierre polie ont au contraire possédé
toutes les espèces mammifères
domestiques qui vivent aujourd'hui dans
cette région.[....] |
Piétrement
1882
|
polémique et
explication de la diminution importante
de la quantité d'ossements de chevaux
dans les stations de fouilles
néolithiques
parfois cette
diminution a été interprétée comme
une disparition
|
|
[...] Rütimeyer entre autres, dans la Faune
des cités lacustres de la Suisse, a montré
que les hommes de la pierre polie possédaient
des animaux domestiques,[...] L'état agricole des
peuples de la pierre polie en Occident est en
effet une preuve péremptoire de la possession
des animaux domestiques par ces peuples, car le
régime pastoral a partout précédé le régime
agricole.
[...] il n'existe aucun peuple agricole dépourvu
d'animaux domestiques, tandis qu'un grand nombre
de peuples possèdent ces animaux sans se livrer
à l'agriculture.
Rütimeyer a seulement émis un
doute sur la possession du cheval par les
habitants des cités lacustres de la pierre polie,
dans le passage suivant, dont nous empruntons la
traduction aux Leçons sur l'homme de Carl Vogt,
page 530
:
Les os
du cheval, dit Rütimeyer, sont, dans les
habitations de l'époque de pierre, bien
plus rares que les restes humains,(...)
il en résulte que (....) le peu de
restes de cheval trouvés à Robenhausen,
Wauwyl, etc., doivent avoir été amenés
du dehors dans les constructions sur
pilotis à titre de proie, tant le genre
de vie et les murs des
populations lacustres semblent peu
compatibles avec l'élève du cheval. » |
Toutefois, M.
Dupont dit à propos de l'âge de la pierre polie
en Belgique :
«
Nombre d'espèces de l'âge précédent
ont émigré. Le renne, le glouton, se
sont réfugiés sous les régions
polaires; le bouquetin, le chamois, la
marmotte, sur les montagnes élevées du
centre de l'Europe ; l'antilope saïga et
probablement le cheval, sur les limites
de l'Europe et de l'Asie. » (Les temps
préhist. en Belgique, p. 217.) |
Mais les
considérations suivantes, exposées par M. Dupont aux pages 233-234
de ses Temps préhistoriques en Belgique, expliquent
pourquoi les paléontologistes belges n'ont pas
trouvé d'os de chevaux contemporains de l'époque
de la pierre polie :
Aucun
des grands souterrains qui furent le
siège d'un séjour prolongé de nos
indigènes durant l'âge du mammouth et
durant l'âge du renne ne fut l'habitation
choisie par l'homme durant cette époque
(de la pierre polie).
Ses débris se trouvent au contraire,
dans les champs, le plus souvent sur les
plateaux élevés, quelquefois sur les
bords de la Meuse.
Nos indigènes avaient donc fini par
substituer le plein air et des huttes aux
excavations insalubres (...).
Dans ce fait de l'habitat, il y a un
trait distinctif aussi considérable
entre ces tribus d'époques différentes
que dans leur industrie perfectionnée du
silex. » |
[....] les
hommes étaient devenus pasteurs et agriculteurs.
C'est en grande partie ce qui explique pourquoi l'on
possède moins de renseignements sur l'âge de la
pierre polie que sur l'âge de la pierre taillée
;
car les ossements se sont trouvés dans les
meilleures conditions possibles de conservation
dans certaines cavernes, et les fouilles y sont d'autant
plus faciles et fructueuses que ces os y sont
rassemblés dans des endroits très limités
[...] où il est facile de les trouver; [....]
Néanmoins, on lit encore, dans le compte rendu,
par M.
Cazalis de Fondouce, du Congrès d'anthropologie
et d'archéologie préhistoriques, tenu à
Stockholm en 1874 :
.....
M. Dupont aborde comme exemple l'histoire
du cheval. Cette espèce est très
abondante à l'âge de la pierre taillée.
Elle est alors la base de l'alimentation
de l'homme,(...).
Or le cheval disparaît complètement,
comme aliment, à l'âge de la pierre
polie, et cela paraît général, dans le
midi, en Angleterre, en Pologne, etc. On
peut donc se demander si le cheval n'a
pas disparu de nos pays, pour y revenir
plus tard importé comme en Amérique.
Dans ce cas, notre espèce domestique ne
descendrait pas de l'espèce quaternaire....
"(Matériaux pour l'hist. de l'homme,
année
1874, p. 318-319.) |
[....] on est
en droit d'en conclure qu'en 1874 aucun membre du
congrès ne savait que, dès 1868, le crâne
quaternaire de cheval trouvé à Grenelle avait
donné la « preuve directe » que les chevaux
percherons sont « originaires du pays où ils se
trouvent » ; et que les aires géographiques des
diverses races domestiques citées plus haut
fournissent des preuves analogues, dont quelques-unes
sont également confirmées par la paléontologie.
Piétrement
1882
|
preuves de la persistance de la
consommation de cheval pendant la
période
|
|
Du reste,[....], il n'était
pas permis en 1874, et il le serait bien moins
aujourd'hui, de dire que
"le cheval
disparaît complètement, comme aliment,
à l'âge de la pierre polie... dans le
midi, en Angleterre, en Pologne, etc.
" |
A l'exemple
précité du contraire, fourni plus haut par
Rütimeyer, nous en joindrons d'autres, qui
seront tous pris dans les Matériaux pour l'histoire
de l'homme, en suivant l'ordre de leurs
découvertes.
[...] l'une des
couches ossifères de la caverne de
Pontil, près de Saint-Pons (Hérault),"
a fourni des os de cheval, des débris
humains, des restes d'anciens foyers, un
couteau en silex, et divers instruments
en corne de cerf et en os, semblables à
ceux du premier âge des habitations
lacustres de la Suisse. » (Matériaux, année
1864, p. 61.)
[...], dans une station de l'âge de la
pierre analogue à celle du lac de
Constance, [...], à l'île des Roses du
lac de Starnberg (Bavière), " des
débris du cheval, du cerf, du buf,
du sanglier et du loup. Ce qui n'est pas
moins significatif, c'est que la plupart
des os, et plus particulièrement les os
longs, sont fendus, autre preuve qu'ils
ont été entassés là par les
populations lacustres qui, comme vous le
savez, avaient l'habitude de fendre les
os des animaux pour en extraire la moelle.
» (Matériaux, année 1864,
p. 23.)
MM. F. et B. Pommerol ont recueilli : «
un tibia de cheval, fracturé à son
extrémité supérieure; [...] dans une
grotte de l'âge de la pierre polie,
près de Gerzat, dans le département du
Puy-de-Dôme. (Matériaux, année 1868,
p. 269.)
Suivant M. Roujou, le cheval fait
complètement défaut aux Hautes-Bornes,
et il est extrêmement rare à Villeneuve-Saint-Georges.
On sait que ce sont deux stations de la
pierre polie dans le département de la
Seine. (Matériaux, année 1870,
p.199.)
M. Perrin a trouvé des os de cerf, de
buf, de cochon, de sanglier, de
chèvre et de cheval, dans une station de
l'àge de la pierre polie, plateau de
Saint-Germain, près de Chambéry (Savoie).
"Les os longs avaient tous été
brisés pour en extraire la moelle, et un
grand nombre portent la trace des coups
de hache ou autres instruments. » (Matériaux, année 1874,
p. 409.) |
Des dents de
ruminants, de cheval et de cochon ont
été trouvées dans un gisement de l'âge
de la pierre polie, sur la rive
méridionale du lac desséché de Fertô
ou Neusield, en Hongrie. (Matériaux, année 1877,
p. 87.)
L'abbé Bourgeois dit à propos de son
exploration de la grotte de la pierre
polie de Villehonneur (Charente) : « Les
animaux dont les ossements étaient
associés à ceux de l'homme sont, comme
dans toutes les grottes du même âge, le
chien, le buf, le mouton, le cerf,
le cheval et le sanglier. » (Matériaux, année 1878,
p. 56.)
Quoiqu'on ait dispersé la plupart des os
de l'âge de la pierre polie de la grotte
de Rivière, arrondissement de Dax (Landes),
M. Henry du Boucher fait observer (...)
la présence du Bos priscus et d'un
Equus caballus de petite taille.
» (Matériaux, année
1879, p. 264.) [....]
M
Albert Gaudry dit à propos de l'âge de la
pierre polie dans l'Angoumois: « C'est
surtout auprès de la grotte de Bois-du-Roc
que les explorateurs de l'Angoumois ont
trouvé des dépôts de l'âge de la
pierre polie..... On n'y rencontre plus
de trace des animaux dont les espèces
sont aujourdhui émigrées comme, le
renne, le saïga ou les grands bovidés.
Les mammifères qui m'ont paru les plus
abondants sont le cochon, le cheval, le
cerf éIaphe ordinaire et un bovidé qui
ressemble bien à nos petites vaches
bretonnes. » (Matériaux, année 1880,
p. 116.)
Enfin, dans son exploration de neuf
grottes de l'âge de la pierre polie aux
environs de Cracovie, en Pologne, M.
Ossowski a trouvé en 1879 des ossements
de chien, de cochon, de cheval, de cerf,
de buf, de mouton, etc. (Matériaux, année
1881, p. 18.) |
Il est donc
certain, que les chevaux ont continué d'être
mangés par l'homme pendant la période
néolithique dans l'Europe occidentale, bien qu'il
faille sans doute attribuer à l'âne une grande
partie des os d'Equidés de cette période qui
ont été trouvés au sud de la Loire. [....]
Piétrement
1882
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M. Emile Cartailhac a dit dans son discours
sur La période néolithique ou de la pierre
polie, prononcé à l'ouverture du Congrès
international des sciences anthropologiques, tenu
à Paris en 1878, à l'occasion de l'Exposition
universelle :
« Les
stations de l'âge du renne renferment
une faune riche encore : le lion, l'ours
des cavernes, la hyène, le renard
polaire, le Canis lagopus, le
mammouth, le cerf du Canada s'y
rencontrent quelquefois; le renne y est
fort commun; ....
Les gisements néolithiques voisins de
ceux-là, même les plus riches en
débris osseux, ne livrent aucune
trace de ces espèces, et parmi des
monceaux d'ossements de cerf il n'y a pas
un seul fragment de renne.
II est donc permis de dire que, chez nous,
au point de vue zoologique, les périodes
du renne et de la pierre polie ne se
suivent pas immédiatement.
Ajoutons cependant que la géologie ne
constate dans cet intervalle aucun
phénomène nouveau. Les cours d'eau
suivaient leur rive actuelle, les côtes
offraient à peu près les contours d'aujourd'hui,
et les tourbières commençaient à se
former lorsque l'âge du renne se
terminait.
L'âge de la pierre polie se présente
avec tous nos animaux domestiques.
Presque partout ils se montrent
brusquement, comme si des troupeaux
arrivaient nombreux dans toute l'Europe;
à distance, ces invasions apparaissent
comme des changements instantanés, mais
elles ont exigé des siècles pour s'accomplir...
«
L'apparition des animaux domestiques
coïncide avec une série de nouveautés
dans le domaine industriel... Une
civilisation spéciale nous a laissé
comme un irrécusable témoin, la hache
en pierre polie.....
«
Vous savez que plus une civilisation est
primitive, plus elle doit faire longtemps
effort pour s'élever à un degré
supérieur; elle paraît immuable. Croyez-vous
donc que les anciens Européens aient à
la fois réduit en domesticité le
chien, le cheval, le buf, le mouton,
la chèvre, le cochon? Supposez-vous qu'ils
aient au même moment inauguré l'agriculture,
fixé leurs demeures, inventé la poterie,
etc.? Non! Tout cela suppose un long
enfantement........
« Les habitants d'un seul continent
ne peuvent pas avoir eu le merveilleux
privilège de ces innovations capitales :
l'âge de la pierre polie nous apparaît
en Europe, comme la synthèse des
progrès accomplis, avec lenteur, par des
inconnus, dans des pays encore ignorés
." (Matériaux pour l'hist. de l'Homme, année
1878, p, 349-351. |
La lacune
chronologique, dont M. Cartailhac vient de
signaler l'existence, entre les époques de
formation, dans l'Europe occidentale, des plus
récentes stations connues de l'àge du renne et
des plus anciennes stations connues de l'âge
néolithique, est incontestable, comme Edouard
Lartet l'a déjà dit aux pages 70-71 et 75,
puisqu'entre ces deux époques plusieurs espèces
animales ont été chassées de cette région par
des changements très sensibles dans son climat.
Les personnes qui n'admettent pas l'existence de
cette lacune chronologique objectent le fait de
la superposition directe des couches ossifères
néolithiques sur des couches ossifères de l'âge
du renne dans certaines grottes, notamment dans
celle de Gourdan; et surtout la présence d'une
même race humaine, celle de Cro-Magnon, dans les
deux couches immédiatement superposées, de l'âge
du renne et de l'âge néolithique, dans la
grotte de Duruthy à Sorde, située dans l'angle
formé par le confluent du Gave de Pau et du Gave
d'Oloron, et si bien explorée par MM. Louis
Lartet et Chaplain-Duparc (Voyez Matériaux pour l'hist.
de l'Homme, année 1874, p. 101-167).
Mais il est évident que ces faits prouvent
seulement l'antériorité de l'âge du renne à l'âge
de la pierre polie ;
qu'ils n'indiquent nullement que les vestiges de
cette dernière époque aient été déposés
très peu de temps après les dépôts qui nous
restent de l'âge du renne; car il serait facile
aux hommes de la race de Cro-Magnon qui existent
encore de nos jours, de déposer leurs morts et
les objets de l'industrie du XIXe siècle en contact
immédiat avec les couches ossifères de l'âge
du renne et de l'âge du mammouth de certaines
grottes;
et l'on ne pourrait cependant pas en conclure que
l'époque du fusil Chassepot a suivi
immédiatement l'âge de la pierre taillée dans
l'Europe occidentale.
Il est d'ailleurs
très vraisemblable qu'il existe d'autres lacunes
chronologiques analogues dans la période
quaternaire, car il n'est guère admissible que
les vestiges connus de cette période nous en
racontent les annales siècle par siècle.
Piétrement
1882
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Quant à l'extrême
tardiveté de la domestication des animaux, elle
n'a pas tenu, comme certaines personnes l'ont
supposé, à la difficulté de l'opération ; car
cette opération était très facile, [...]. Ce qui était difficile,
c'était que la volonté de domestiquer des
animaux naquît chez des peuples chasseurs, [....].
Il fallait,
pour les amener là, une série de circonstances
à déterminer,[....]
Piétrement
1882
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haut
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