La domestication
des animaux dans les Deux-Mondes et l'âge de la
pierre polie dans l'Europe occidentale (chapII,§5) Voici, in extenso, une
note de M.
de Quatrefages, lue au Congrès international d'anthropologie
et d'archéologie préhistoriques, tenu à
Lisbonne en 1880 :
« Note sur les
dernières découvertes effectuées dans
la Lozère.
Quelques jours avant mon
départ de Paris, je reçus de M. le
docteur Prunières une note relative aux
découvertes remarquables qu'il venait de
faire [....]
«
On sait que cet infatigable chercheur
avait déjà fait connaître la caverne
de l'Homme-Mort, puis celle de Baumes-Chaudes.
Le beau travail de notre regretté
collègue Broca a montré la première
habitée par les hommes dolichocéphales
de Cro-Magnon, croisés avec les
brachycéphales constructeurs de dolmens.
La seconde a évidemment servi de refuge
à des Cro-Magnons en lutte avec les
constructeurs de dolmens. Ce fait est
attesté par l'existence d'os dans
lesquels sont enfoncées encore les
pointes de flèches néolithiques qui ont
tué les individus.
« Maintenant M. Prunières annonce avoir
découvert :
«
1° Une immense caverne avec ossements d'Ursus
spelaeus et des haches de
Saint-Acheul. La présence de l'homme
paléolithique est attestée là par ses
uvres, mais non par les restes de l'ouvrier.
«
2° Plusieurs cavernes sépulcrales d'où
notre collègue a retiré une immense
quantité d'ossements et des crânes
très nombreux. Plusieurs de ces
ossements sont percés par des flèches
néolithiques des hommes des dolmens.
Tous les crânes sont des
dolichocéphales purs.
«
3° Plusieurs dolmens, lesquels ont
donné des crânes brachycéphales purs,
mêlés à un certain nombre de
dolichocéphales purs et à des crânes
de métis.
Le bronze commence à se montrer dans ces
dolmens.
«
4° Des crânes extraits d'un vieux
cimetière situé au centre du Causse se
sont montrés brachycéphales en grande
majorité; mais un certain nombre
étaient encore dolichocéphales, et d'autres
accusaient le mélange des deux races.
« Si nous embrassons par la pensée l'ensemble
de ces découvertes, toutes dues à M.
Prunières, nous voyons qu'elles
racontent d'une manière complète l'histoire
primitive de ces régions.
« 1°au début, dès les temps
paléolithiques de l'ours, les
dolichocéphales sont seuls, à en juger
par ce que nous montrent les localités
où l'on a trouvé des restes humains ;
ces premiers habitants appartenaient à
la race de Cro-Magnon. On peut toutefois
se demander, jusqu'à plus ample informé,
si les hommes de Canstadt n'entraient pas
pour quelque chose dans cette population.
«
2° Les brachycéphales constructeurs des
dolmens sont arrivés à un moment donné,
et la guerre a été d'abord la suite de
ce contact. C'est ce qu'attestent ces
nombreux squelettes de dolichocéphales
purs, portant encore les pointes de
flèche.
Le
même fait met hors de doute la
coexistence des deux races, la survivance
de celle de Cro-Magnon.
«
3° La guerre n'a pas amené l'extermination
des dolichocéphales ; les deux races se
sont unies, mais la race brachycéphale
paraît avoir prévalu.
« La fusion des races primitives qui ont
habité le sol français se montre, de la
manière la plus frappante, dans la
magnifique collection ostéologique
formée par notre collègue M. le baron
de Baye (Cette collection provient des
grottes néolithiques de la vallée du
Petit-Morin (Marne) décrites par M. de Baye dans L'archéologie
préhistorique, 1 vol in-8.
Paris, 1880.)
J'ai eu déjà l'occasion de dire à la
Société d'anthropologie que j'y avais
trouvé tous les types fossiles, moins
celui de Canstadt et peut-être un des
deux types de Furfooz, associés à un
type spécial. A Baye, toutes ces races
apparaissent comme vivant dans les
meilleurs termes. Le temps des guerres
est passé.
« Dans la Lozère, les phénomènes sont
bien plus simples.
Nous
ne voyons que deux races en présence,
mais nous suivons, pour ainsi dire d'étape
en étape, l'histoire de chacune d'elles
et de leurs rapports jusqu'à l'époque
actuelle. Là est le très grand
intérêt des faits mis au jour par M. Prunières .
» (Matériaux
pour l'histoire de l'homme, année 1880, p.
564-566) |
Piétrement
1882
|
.
|
Ajoutons que les Cro-Magnons
de la Lozère, dont les os ont été percés par
des flèches néolithiques, ne possédaient
encore que des armes paléolithiques. En outre, tout le monde
connaît les beaux travaux de MM. Alexandre Bertrand
et de Bonstetten sur la distribution des dolmens sur la
surface de l'Ancien Continent.
« M.
Bertrand...... dit que, si l'on jette les
yeux sur une carte, on suit la marche des
dolmens de l'orient à l'occident. Mais,
en constatant ce fait, il n'a pas voulu
dire que le peuple des dolmens ait
parcouru ce pays en semant partout des
monuments.
On peut seulement affirmer que ce ne sont
pas les hommes des cavernes qui ont
inventé les dolmens.
C'est une race nouvelle qui en a apporté
l'usage, en même temps que la pierre
polie, les animaux domestiques, etc. Dans
quelle proportion sont intervenus ces
nouveaux éléments ethniques?
Nous n'en savons rien, et il se peut
très bien qu'ils fussent peu nombreux, s'imposant
plutôt par leur supériorité que par le
nombre, et qu'un grand nombre de dolmens
aient été élevés à leur imitation
par les anciennes populations.
M. Bertrand conclut que, si l'on ne veut
pas dire qu'il y a eu substitution de
races nouvelles aux anciennes, il faut
dire qu'il y a eu des civilisations
nouvelles importées par des flots
ethniques nouveaux . » Matériaux
pour l'hist. de l'homme, année
1874, p. 263.- |
On voit quel
sens il faut attribuer à l'expression « peuple
ou hommes des dolmens », employée pour éviter
cette périphrase « hommes importateurs dans l'Europe
occidentale de l'usage des dolmens, de la pierre
polie, etc. »
M. Bertrand
avait publié dans la Revue archéologique (t.
X,1864, p. 144-145) son mémoire De
la distribution des dolmens sur la surface de la
France;
M. de Bonstetten a fait paraître l'année
suivante son Essai sur les dolmens
(Un volume in-4, avec planches in-folio
et une carte. Genève, 1865), dans lequel il
signale tous ceux qui étaient alors connus en
Asie, en Europe et dans le nord de l'Afrique.
L'ouvrage de
M.de Bonstetten a été analysé dans le tome Ier des Matériaux
pour l'histoire de l'homme, d'où nous
extrayons les passages suivants, relatifs aux
dolmens de l'Occident :
« Les
dolmens forment une chaîne presque
continue depuis la Baltique jusqu'aux
frontières de l'ancienne Cyrénaïque...
Les dolmens d'Oppeln et de Liegnitz sont
les premiers qui se présentent à
partir de la Crimée : c'est donc par la
Silésie que les émigrants ont
gagné la Baltique. (p. 316.)
"
La preuve que ce peuple est allé du nord
au sud, et non pas du sud au nord se tire de l'étude
directe des dolmens.
Dans
le nord-est, les dolmens ne renferment
jamais d'objets en métal...Dans le nord-ouest,
le métal (or et bronze) apparaît exceptionnellement....Dans le sud, le
bronze s'y rencontre plus fréquemment...
"
Reste à examiner quelles étaient les
murs du peuple des dolmens.
"
Les ossements d'animaux domestiques et
sauvages (Cheval, Boeuf, Mouton, Chien, Cerf,
Elan, Ours, Sanglier) déterrés sous les dolmens, et l'accumulation
de ces sépultures près du littoral de
la mer ou le long des grands cours d'eau,
indiquent un
peuple pasteur vivant du produit de ses troupeaux
et de celui
de la chasse et de la pêche.
"La découverte à l'Ancress, dans l'île de
Guernesey, d'une espèce de mortier et de
pierres à broyer, pourrait faire
supposer que ce peuple cultivait
quelques céréales; mais les
grands espaces
consacrés à ces monuments funéraires
et l'agglomération de la population dans
des districts incultes montrent qu'il
attachait peu de valeur au terrain et à
la bonne qualité du sol.
Les
lieux trop arides pour produire de
grandes forêts, et qui n'offraient que
de maigres pâturages, furent dès l'origine
son séjour favori. Il cultivait rarement
la terre et devait mener la vie nomade
des Scythes pasteurs et des anciens
Hébreux.
"C'était
un peuple d'habiles potiers qui excellait
à tailler et à polir les pierres dures,
dont il faisait ses armes, ses ornements
et ses insttruments usuels. Ce peuple
nomade n'apprit que plus tard l'emploi du
bronze et de l'or. (p.318.) |
Ajoutons que les plus
anciens objets de bronze trouvés dans les dolmens sont
seulement des joyaux, des ornements, et non des armes ou des outils.
[....]. Si
le peuple des dolmens a surtout occupé les
terrains aujourd'hui arides, c'est parce que de
leur temps c'étaient les plus
favorables pour le pâturage et pour la culture ;
parce qu'une moins grande sécheresse de ces
terrains était autrefois la conséquence de l'immense
extension des forêts; parce que les meilleurs
terrains d'aujourd'hui étaient alors couverts
par ces forêts, et qu'ils ne sont devenus
pâturables et cultivables qu'après les grands
déboisements qui ont principalement été
exécutés dans les temps modernes, comme on peut
le voir dans
Les forêts de la Gaule de M. Alfred Maury et
dans notre note Sur une pointe de flèche en
silex taillé, trouvée aux Hublets (Marne),
publiée dans les Bulletins de la Société d'
anthropologie de Paris, année 1876, p. 576-586.
Enfin
si, parmi les crânes trouvés dans beaucoup de
dolmens de l'Europe occidentale, certains
attestent que les hommes des races
paléolithiques y ont construit de ces monuments
à l'imitation de leurs hôtes néolithiques, l'histoire
de la domestication des animaux dans cette
région prouve que ces derniers hommes n'y sont
arrivés qu'en faible proportion, avec des
troupeaux peu nombreux.
Piétrement
1882
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haut
.
|
[....] les
nouvelles découvertes des voyageurs ont montré
que, sur toute la surface de la terre, les plus
anciennes armes dont les peuples primitifs nous
aient laissé des spécimens étaient des pierres
taillées par éclats, comme dans l'Europe
occidentale.
A mesure que les hommes paléolithiques ont fait
des progrès dans la fabrication de leurs armes
et dans la manière de s'en servir, leurs chasses
sont devenues plus fructueuses; une alimentation
de plus en plus azotée a de plus en plus
augmenté leur vigueur et leurs instincts de
chasseurs.
L'Europe
quaternaire avait une faune très riche en
espèces à cause de sa configuration
particulière,[...].
Mais
lorsque de telles conditions de vie, prolongées
pendant des siècles, eurent élevé, au maximum,
le nombre d'hommes dont cette faune quaternaire
pouvait assurer la subsistance, non seulement un
climat à saisons plus variables força une
partie des espèces animales à quitter l'Europe
occidentale, mais encore le froid des hivers et
la sécheresse des étés diminua beaucoup la
richesse de la végétation, et par conséquent
restreignit d'autant le nombre des mammifères
herbivores qui formaient le fond de l'alimentation
des hommes.
[....] sur divers points du globe, certaines
populations [...], se sont décidées à
domestiquer les animaux les plus sociables; [..]
elles ont élevé des troupeaux destinés à
combler le vide laissé par l'insuffisance des
chasses;
elles en ont confié la garde au chien, qui les a défendus
contre l'agression des autres animaux carnassiers.
[....] les
populations paléolithiques de l'Europe
occidentale, restées purement chasseresses
malgré la diminution du gibier, devaient déjà
être entrées dans une période de décadence,
lorsque les constructeurs de dolmens leur ont
amené des animaux domestiques, et, ce qui valait
mieux, leur ont montré combien le régime
pastoral et agricole est plus profitable que la
chasse au milieu d'une faune appauvrie.
Lors de l'arrivée des Anglo-Saxons aux États-Unis
d'Amérique, et nous choisissons une localité
restreinte pour simplifier la comparaison, ils
ont rencontré les tribus indigènes du pays dans
le même état social où les hommes
paléolithiques de l'Europe occidentale ont été
trouvés par le peuple des dolmens.
Quelques tribus américaines, telles que les
Cherokees, les Osages, les Chactas et les
Delawares, ont assez vite compris la nécessité
de devenir pastorales, agricoles et industrielles,
d'accepter la civilisation européenne; elles ont
ainsi assuré l'existence de leurs descendants
pendant une série de siècles indéterminée ;
tandis que d'autres tribus voisines, n'ayant pas
voulu se plier à cette nouvelle civilisation,
sont mortes ou vont mourir.
Les mêmes faits n'ont pu manquer de se produire
dans l'Europe occidentale à l'arrivée des
constructeurs de dolmens.Piétrement 1882
|
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Nous ne reviendrons pas
sur les preuves, qui ont été données plus haut,
de la persistance des populations paléolithiques
de l'Europe occidentale, au milieu des nouveaux
immigrants, qui y sont arrivés à tant de
reprises, dont elles ne se distinguent en aucune
façon au point de vue social, et avec lesquels
elles se sont croisées en beaucoup d'endroits,
comme plusieurs peuples américains se sont
mêlés avec les Espagnols leurs vainqueurs.
Nous ajouterons seulement que ce sont les
populations primitives de l'Europe occidentale,
qui ont domestiqué les races animales propres à
cette région, avec l'aide et les conseils de
leurs éducateurs les constructeurs de dolmens,
beaucoup moins nombreux, incontestablement
possesseurs de bétail, puisqu'ils étaient
agriculteurs, mais aussi certainement arrivés
avec des troupeaux numériquement trop faibles
pour couvrir les pays où ils vinrent s'installer.
Il est clair en effet que si les hommes des
dolmens eussent possédé assez de chevaux, d'ânes,
de bufs, de moutons, etc., pour remplir l'Europe
occidentale, ni eux ni leurs élèves de cette
région ne se fussent donné la peine de
domestiquer les races animales sauvages qui en
foulaient le sol, tels que le cheval percheron,
le cheval belge, l'âne européen ou hispano-atlantique,
le buf des Pays-Bas, le buf vendéen,
le buf du Jura, le buf des Alpes, le
mouton mérinos, etc.: et que si quelques
individus, appartenant à ces diverses races, s'étaient
ralliés à l'homme supposé possesseur de
nombreux troupeaux venus avec les constructeurs
de dolmens, le type de ces individus aurait vite
disparu par suite de leur croisement avec leurs
congénères plus nombreux.
La faiblesse numérique des troupeaux amenés
dans l'Europe occidentale par les importateurs de
l'usage de la pierre polie peut donc seule
expliquer pourquoi cette région est couverte de
races domestiques la plupart naturelles à son
sol, dont les races domestiques étrangères n'ont
pu les déposséder.
Quant aux races domestiques d'origine étrangère,
notamment les races chevalines qui sont parvenues
à s'implanter dans l'Europe occidentale, il faut
naturellement commencer leur histoire par le
commencement : ce qui va nous forcer d'aller à
la recherche de leurs lieux d'origine.
Il est à
peine besoin de dire auparavant que, malgré sa
facilité d'exécution, la domestication des
races animales propres à l'Europe occidentale ne
s'est pas opérée en un jour, et que tous les
peuples de cette région n'ont pas adopté à la
même époque tous les éléments de la
civilisation nouvelle qui leur était apportée.
C'est le cas de rappeler ce que M. Worsaae
faisait déjà observer au Congrès international
de Copenhague en 1869.
Dans les kjôkkenmôddings du Danemark, qui
datent de la première période de l'âge
néolithique, le chien est le seul animal domestique, tandis
que dans les dolmens de ce pays, comme dans
beaucoup d'autres appartenant à diverses
contrées de l'Europe, on rencontre le mouton, le
cochon, le cheval, etc. .
Nous reviendrons du reste dans les chapitres XI
et XII sur l'histoire des races chevalines
européennes, et sur celle des peuples qui ont
érigé des dolmens dans l'Europe occidentale et
dans le nord de l'Afrique.Piétrement 1882
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