texte intégral
Bellérophon et
Pégase
(Muséee du Louvre)
|
Le
Pégase de Persée et de Bellérophon. La fable
des Centaures . Les jeux troyens (chap.IV,
§5) Suivant quelques auteurs,
c'est montés sur le cheval Pégase, que Persée,
fils de Danaé, puis Bellérophon, fils du roi de
Corinthe Glaucos et petit-fils de Sisyphe, ont
exécuté leurs exploits.
Persée
était allé combattre les Gorgones en Libye.
Environ un siècle plus tard, Bellérophon,
contemporain d'Hercule, était allé combattre la
Chimère et les Solymes; c'est à dire qu'après
le meurtre involontaire de son frère Belléros
il était allé s'établir de vive force en Asie
Mineure, où il devint l'aïeul de Sarpédon et
de Glaucos, héros lyciens de la guerre de Troie.
Mais l'antériorité de Persée n'a pas empêché Pline (VII,57) d'attribuer
à Bellérophon l'invention de l'art de monter à
cheval.
Les
fables relatives aux exploits de Bellérophon et
de Persée, montés sur Pégase, ont été l'objet
de deux dissertations faites en1729, par Fréret
et par l'abbé Banier, au sein de l'Académie des
inscriptions.
La substance de ces deux dissertations est
exposée dans deux articles publiés dans la
première partie, ou partie historique, du tome VII,
1733, des Mémoires de l'Académie des
inscriptions.
Le
premier de ces articles est intitulé Remarques
sur les fondements historiques de la fable de
Bellérophon et sur la manière de l'expliquer
(p.37-43); il
contient l'exposé des idées de Fréret.
Le second porte ce titre: Réflexions
sur les voyages de Persée et sur son combat avec
Phrinée (p. 44-51); il
contient l'exposé des idées de l'abbé Banier.
Quelques extraits de ces deux articles aideront
à élucider la question posée à la fin du
paragraphe précédent, c'est à dire celle de la
prétendue existence de la cavalerie proprement
dite dans les armées grecques des temps
héroïques.
Voici d'abord l'opinion de Fréret sur les fables
de Bellérophon et de Persée:
"Homère, qui
raconte fort au long l'histoire de
Bellérophon, ne parle pas de Pégase
(Voyez Homère, Iliade, VI, p 84-85). ..... Pindare
est le premier des poètes que nous
connaissions qui ait donné Pégase pour
monture à Bellérohon (Voyez Pindare, 13e olympique, p60.), et
la fiction fut adoptée par Euripide dans
sa tragédie d'Ion, où il suppose des
tableaux placés dans le temple de
Delphes, représentant ce prince monté
sur Pégase et combattant la Chimère. Ce
fut, selon le premier de ces poètes,
auprès de la fontaine Pyrène, peu
éloignée de Corinthe, que Bellérophon
se rendit maître de Pégase, Minerve
lui ayant montré l'art de le monter et
de lui mettre un frein; et ce prince s'en
servit pour traverser la mer qui sépare
la Lycie de la Grèce. Cette tradition
durait encore à Corinthe du temps de
Strabon (Voy Strabon, VIII, VI, 21- Cette
tradition existait même encore à
Coriinthe du temps de Pausanias, comme
cet auteur nous l'apprend dans sa Desciption
de la Grèce, II, 4; tome 1, p.351.).
Comme le premier objet de cette fiction a
été de fournir au héros qui en est le
sujet un moyen de traverser la mer pour
abandonner la Grèce, il semble à M.
Fréret que la fable doit s'expliquer de
la navigation; ainsi le Pégase de
Pindare n'est autre chose qu'un vaisseau
dont Bellérophon s'empara, tandis que
ceux qui le montaient étaient allés
faire de l'eau à la fontaine Pyrène; et
la bride que Minerve lui donne moyen de
mettre à Pégase, un gouvernail qu'il
fit, les matelots, suivant l'usage de ce
temps-là, emportant les leurs quand ils
descendaient à terre, afin qu'on ne pût
emmener le vaisseau pendant qu'ils
étaient éloignés."P. 38) |
Après
avoir dit que Plutarque a déjà donné cette
explication, qui est la seule admissible, le
narrateur continue ainsi:
"M. Fréret
le confirme par un grand nombre de
façons de parler des anciens, qui ont pu
donner lieu à confondre un vaisseau avec
un cheval....
Strabon nous apprend (Voyez Strabon, II, III, 5 ) que
les Phéniciens de Gadès mettaient la
figure d'un cheval à la proue de leurs
bâtiments légers, et qu'on donnait le
nom de chevaux à ces sortes de vaisseaux... Pindare
(4eme pythique) donne
le nom de bride aux ancres qui servent à
fixer les vaisseaux dans le même point;
ce nom ne pouvait-il pas être donné au
gouvernail qui le dirige?
Aussi Nonnus, qui emploie le mot chalinos,
dans ce sens, donne le nom de bride aux
gouvernails des vaisseaux de Cadmus....
On peut penser aussi que les talonnières
ou le ailes de Persée n'étaient que les
rames de la galère sur laquelle il
sortit de Sériphe pour aller croiser sur
les côtes d'Afrique.
Homère appelle ces rames les ailes d'un
vaisseau (voy.
dans Homère, Odyssée,
chants XI et XXIII, la prédiction de
Tirésias à Ulysse.), et
les vaisseaux eux-mêmes, des chevaux de
mer.
Ces deux idées jointes ensemble ont fait
aisément changer un vaisseau léger en
cheval ailé.
M. Fréret va plus loin encore, lorsqu'il
remarque que le nom de celes ou
de coureur, celer, employé
également pour signifier des vaisseaux
légers et des chevaux de course, même
par des écrivains en prose, montre
combien les idées de la navigation et de
l'équitation se confondaient dans la
langue des Grecs.
Homère nomme un pilote le cocher d'un
vaisseau, et les poètes tragiques,
comme Eschyle et
Euripide, donnent
aux vaisseaux le nom de chariots
marins." (P.39-41.) |
Voici
maintenant l'opinion de l'abbé
Banier sur la fable de Persée:
" Il est
nécessaire auparavant que l'on convienne
que le voyage de Persée était une
expédition maritime, et que ceux qui ont
regardé ce héros comme un cavalier qui
avait dompté le Pégase, se sont
trompés.
Pour aller de l'île de Sériphe chercher
les Gorgones il fallait des vaisseaux et
non un cheval, et Pégase lui-même
était un vaisseau à voile.
Hésiode et Ovide après
lui (voy. Hésiode, la
théogonie, p.12; et Ovide, Métamorphoses,
liv IV, chap. 6), sans
parler des autres, disent que Pégase et
Chrysaor naquirent du sang de Méduse, ce
qui veut dire que c'étaient deux
vaisseaux que Persée emmena après avir
tué cette princesse.
On les regarda comme les enfants de cette
Gorgone, parce qu'ils lui appartenaient,
et on a dit qu'ils étaient sortis de son
sang, parce que sa mort les livra au
vainqueur... Les autres poètes qui
racontent comment Persée, après la mort
de Méduse, monta le Pégase pour son
expédition de Mauritanie, nous font
assez entendre que c'est d'un vaisseau qu'ils
veulent parler, car on ne sort point d'une
île et on ne traverse point les mers à
cheval.
Persée, dont les vaisseaux qu'il avait
emmenés de Sériphe n'étaient que des
vaisseaux à rames, en ayant trouvé à
voiles dans le port des Gorgones, il
profita d'une si heureuse découverte et
s'en servit pour son retour. Les voiles
inconnues alors dans la Grèce, où
Danaüs même n'était arrivé d'Egypte
que sur une galère à rames, furent
figurées sous le symbole d'un cheval
ailé, et en marquaient bien la vitesse
et le légèreté." (p.44-45)
" Lorsque Pausanias
rapporte que ce fut Minerve qui dompta le
Pégase, on peut croire qu'il a voulu
dire qu'il fallut à Persée une grande
prudence pour se servir habilement d'un
vaisseau à voiles, dont l'usage lui
était inconnu (C'est à
Bellérophon que Pausanias (II,4; t.1,p
151) fait donner par Minerve "le
cheval Pégase, qu'elle avait dompté et
soumis au frein". Il n'en est pas
moins vrai que c'était Minerve qui
enseignait l'art de la navigation, aussi
bien que l'art de l'équitation et tous
les autres arts....)....
Enfin, à toutes
ces autorités, on peut joindre ce que
dit Pausanias dans
ces Eliaques,
chapitre 15 ( Voici la phrase
à laquelle il est fait allusion, et sa
vraie indication bibliographique: "
Les soeurs de Méduse poursuivent, en
volant, Persée, qui a aussi des ailes." (Pausanias, Descr
de la Gr, liv V ou Elide I chap 18; tome
III, p 135.), que
sur l'arche de Cypsélus on voyait les
soeurs de Méduse avec des ailes qui
poursuivaient Persée dans les airs, ce
qui veut dire sans doute qu'elles
poursuivaient Persée sur leurs vaisseaux" (P.46) |
Après
avoir montré que les exploits de Persée
consistèrent surtout à détruire les pirates
phéniciens dont les principaux repaires étaient
sur le côtes de la Libye, Banier arrive à cette
conclusion:
"Mais, quoi
qu'il en soit de cette fable et de l'explication
qu'on vient de lui donner, il est certain
que Persée ne doit point être pris pour
un cavalier, mais pour un chef d'escadre
qui fit qulques expéditions maritimes, d'abord
sur les vaisseaux à rames qu'il avait
pris dans le port de Sériphe, puis sur
les vaisseaux à voiles qu'il enleva sur
les côtes de Lybie." (P.50.) |
Nous
ignorons sur quels documents l'abbé Banier s'est
appuyé pour dire que l'usage des vaisseaux à
voiles éait inconnu à l'époque de Persée et
que Danaüs était arrivé d'Egypte sur une
galère à rames; mais c'est une erreur manifeste.
On a déjà vu que les peuples phrygio-helléniques
ancêtres des Grecs, ont très anciennement
appris des Phéniciens à se servir de la voile
concurremment avec la rame.
Quant à Danaüs, il est vrai qu'il était un peu
antérieur à Persée. On le fait généralement
contemporain de l'un des pharaons de la XIXe
dynastie, de Ramsès II, le Sésostris des Grecs,
d'après une tradition rapportée par Flavius
Josèphe (Contre
Appion, I, 15,16 et 26) et par Hérodote (II,
107-108).
Mais les monuments
egyptiens nous montrent que cette tradition se
rapporte au règne de Ramsès III, le second roi
de la XXe dynastie (Maspéro,
Hist anc p 266-267), dont la
flotte détruisit celle des peuples de l'Asie
Mineure entre Péluse et Raphia (Ibid.,
p 263-264).
Or les Egyptiens
possédaient des vaisseaux à voiles plus de
vingt siècles avant cette époque.
Mariette a déjà
montré dans son Aperçu
sur l'histoire d'Egypte, page 15, que de
grandes barques à voiles carrées flottaient sur
le Nil dès la IVe dynastie.
Lepsius a
reproduit (Denkmaeler,
tIII, sectionII) ces
vaisseaux à voiles d'après les dessins trouvés
dans les tombeaux des Pyramides de Gizeh. Ceux de
la planche 43, figure a, remontent à la
Ve dynastie et et proviennent du tombeau n° 95;
on y voit les rames et les voiles. Ceux de la
planche 9 remontent à la IVe et proviennent du
tombeau n° 75; on y voit les rames et seulement
la partie inférieure des mâts.
Enfin, on a pu voir dans la galerie des arts
rétrospectifs du Trocadéro de Paris, pendant l'exposition
universelle de 1878, des fac simile du
dessin de ces sortes de vaisseaux, provenant des
salles funéraires de la VIe dynastie.
Eschyle est donc dans la vérité
historique lorsque, dans Les Suppliantes,
après avoir montré Danaüs arrivant d'Egypte en
Grèce avec ses filles, qui font le rôle du
choeur dans cette pièce, il fait dire à ce
choeur:
"La rame,
certes, et l'édifice de bois aux voiles
de lin qui me garantissait des flots, et
le souffle des vents, m'ont heureusement
transportée" (P 346). |
Plus
tard, apercevant du haut d'une colline un navire
de la flotte égyptienne envoyée à sa poursuite,
Danaüs dit à ses filles:
Il est bien
visible; je ne saurais me méprendre. Je
reconnais la voile qui le surmonte.... Ah!
voici qu'apparaissent les autres navires;
toute la flotte se montre à mes yeux. Le
vaisseau qui marche en tête a replié sa
voile; il force de rames pour aborder"
(P.272)
Le choeur lui répond: "Mon père,
je tremble de frayeur! Les vaisseaux ont
touché terre, portés par leurs ailes
rapides; un instant encore, et nos
ennemis sont ici" (P.373) |
Cette
dernière phrase, rapprochée de celles d'Homère
auxquelles il a été fait allusion plus haut,
montre que les sandales ailées, données à
Persée par tant d'artistes et déjà par Hésiode
(Voyez
Hésiode, Le bouclier d'Hercule,
p.46.)., pouvaient
aussi bien être l'emblème des voiles comme le
pensait Banier, que l'emlème des rames, comme l'a
dit Fréret;
mais il n'en est pas moins avéré que le cheval
Pégase, sur lequel on a fait monter Persée et
Bellérophon, était primitivement l'emblème d'un
vaisseau léger, rapide, propre au service de
guerre; et qu'il n'existe, dans l'histoire de ces
deux héros, aucun fait indiquant qu'ils aient
jamais combattu à cheval.
Piétrement 1882
|
haut
centaures
barbus portant un tronc d'arbre sur l'épaule (Lo)
.
un homme et un centaure
bronze, (MMA)
|
La
fable des Centaures. D'après Virgile :
"L'art
de monter le cheval et de le rendre
docile au frein fut inventé par les
Lapithes de Péléthronium qui formèrent
aussi le cheval (equitem) à
insulter au sol et à marcher fièrement
sous les armes" (Virgile, Géorgiques
II, vers115-117)-- |
Dans les Saturnales,
VI, 9, Macrobe a déjà dit à
propos de la façon dont Virgile emploie le mot equitem:
"Tous les
vieux auteurs ont nommé eques le
cheval, qui porte l'homme, aussi bien que
l'homme qui le monte; et ils ont employé
le verbe equitare, aussi bien en
parlant du cheval qu'en parlant de l'homme." |
Pline
a répété cette légende en disant (VII, 57)
que le frein et la selle ont été inventés par
Péléthronius, et
"" l'art
de combattre à cheval par les
Thessaliens, qui ont été appelés
Centaures, et qui habitaient le long du
mont Pélion." |
Avant d'examiner ce que
valent ces deux assertions, il faut se rappeler
que c'étaient le Lapithes et les Centaures.
Au rapport de Diodore (IV,69), Pénée, l'un des
fils d'Océan et de Thétis, a donné son nom à
un fleuve de la Thessalie; et il eut pour petit-fils
Lapithès et Centaurus, issus du même père et
de la même mère.
Lapithès devint roi de la contrée arrosée par
le Pénée, et ses sujets prirent le nom de
Lapithes.
Enfin, Lapithès fut le bisaïeul d'Ixion, qui
eut deux femmes: Dia, mère de Pirithoüs, et
Néphélé, mère des " Centaures de forme
humaine". Cette Néphélé, dont le nom
signifie le nuage ou la nuée, était censée un
nuage, créé par Jupiter à l'image de Junon,
dont Ixion était devenu amoureux.
Diodore dit
ensuite, IV, 70:
"Selon
quelques-uns, les Centaures furent
nourris par les Nymphes, sur le mont
Pélius. Arrivés à l'âge viril, ils
eurent commerce avec les cavales et
engendrèrent les Hippocentaures,
monstres biformes. D'autres disent qu'on
donna aux Centaures, fils d'Ixion et de
Néphélé, le nom d'Hippocentaures,
parce qu'ils avaient les premiers essayé
de monter à cheval; et que c'est de là
que provient la fiction mythique, d'après
laquelle ils étaient biformes.Ceux-ci
demandèrent à leur frère Pirithoüs
leur part du royaume de leur père; comme
Pirithoüs s'y refusa, ils lui
déclarèrent la guerre à lui et aux
Lapithes. Cette guerre étant terminée,
Pirithoüs épousa Hippodamie, fille de
Bystus, et invita à ses noces Thésée
et les Centaures.
Ces derniers, s'étant ennivrés,
violèrent dit-on les femmes invitées au
festin. Thésée et les Lapithes,
indignés par ce crime, en tuèrent un
grand nombre et chassèrent les autres
hors de la ville. Ce fut là l'origine de
la guerre des Centaures contre les
Lapithes." |
Ajoutons que Polypoetès,
fils de Pirithoüs, fut l'un des héros grecs de
la guerre de Troie, comme on le voit dens l'Iliade,
aux chants II et XII, pages 32 et 160.
L'histoire de la
dynastie de Pénée, remplie de noms
aryens dont nous n'avons cité qu'une
faible partie, et sa qualité de fils de
l'Océan et de Thétis, indiquent assez
qu'il s'agit ici d'une colonie aryenne
qui vint d'outre-mer, d'Asie Mineure, s'établir
en Thessalie, et qui devint assez
puissante pour dominer dans la vallée du
Pénée sous le nom de Lapithes: peuple
dont se sépara la fraction dite des
Centaures, à l'époque de la mort d'Ixion,
c'est à dire environ deux générations
avant la guerre de Troie.
Il est à peine besoin de faire observer
que les ancêtres de ce rameau aryen
savaient atteler et monter les chevaux
dès l'époque |
de leur séjour
dans leur première patrie.
Mais un peuple peut avoir su monter à
cheval à une époque donnée, sans avoir
dès lors fait de cet animal une monture
de combat.
Voyons donc ce qu'il peut y avoir de
fondé dans les légendes suivant
lesquelles l'usage de combattre à cheval
remonterait en Thessalie à la naissance
des Hippocentaures, neveux de Pirithoüs
et cousins germains de Polypoetès; ou
même jusqu'aux Centaures, frères et
adversaires de Pirithoüs, puisque ce
sont réellement ceux-ci qui ont été si
longtemps considérés comme des monstres
biformes, par la |
majorité des
artistes, des écrivains et de leurs
lecteurs.
Dans l'Odyssée (XXI, vers 295-304),
Homère raconte que l'abus du vin
détermina la guerre des Centaurres
contre les Lapithes, sujets de Pirithoüs,
et il désigne ces deux peuples par leurs
noms.
Dans l'Iliade (I, vers 268; II,
vers743), il fait allusion à cette
guerre; mais, au lieu d'appeler les
Centaures par leur nom, il les nomme
Phéræens, c'est à dire habitants du
territoire de Phères en Thessalie. Enfin
Hésiode nomme les Centaures et décrit
leur combat avec les Lapithes de
Pirithoüs, dans son poème du bouclier
d'Hercule (vers 178-190). |
.
"Mais, dit
Fréret, dans tout ce récit (d'Homère
et d'Hésiode) on ne voit rien qui ait
rapport à la forme monstrueuse
attribuée depuis aux Centaures, ce qui
me ferait croire que cette fiction était
postérieure à Homère et à Hésiode,
qui n'auraient pas négligé d'en
embellir leurs poèmes, comme ils ont
fait de tant d'autres fictions encore
plus absurdes reçues de leur temps. (Fréret, rech
sur l'anc de l'art de l'équit en Grèce,
dans les Mém de l'Acad des inscript.,
t VII, 1733, p 319) |
La remarque de Fréret est
parfaitement justifiée par les textes d'Homère
et d'Hésiode.
Mais, à la page 44 de sa traduction du Bouclier
de Héraklès,
Leconte de Lisle nomme le centaure
"Mimas aux crins noirs": ce qui
indiquerait que les Centaures d'Hésiode étaient
déjà des monstres moitié hommes et moitié
chevaux, comme les Centaures des artistes
modernes, ou, en d'autres termes, qu'ils avaient
déja une queue de cheval; car on sait qu'ils n'ont
jamais eu de crinière, l'encolure de ces
monstres étant remplacée par un torse humain.
La vérité est cependant que l'épithète
donnée par Hésiode au centaure Mimas est celle
de (..), qui peut être traduit aussi bien par
"aux cheveux noirs" que par "aux
crins noirs"; et, dans le cas présent, le
premier sens doit être le véritable, car tout
tend à faire croire que la fiction des Centaures
biformes n'était pas encore née du temps d'Hésiode.
Mais, comme le dit Fréret,
"dès le
temps de Xénophon, qui vivait environ
soixante ans après Pindare, on
commençait à prendre la fable des
Centaures pour un emblème de l'équitation;
je ne sais cependant si cette idée
était ancienne;
car Xénophon, pour ramener cette fable
à l'art de monter à cheval, changea le
nom de Centaures, qui signifie Pique-Boeufs
ou Bouviers (Nous reviendrons bientôt
sur l'étymologie incertaine du mot Centaures
) , en celui d'Hippocentaures (Voyez
Xénophon, Cyropédie, IV,3),
inconnu à tous les anciens poètes.
Pindare semble être le premier poète
qui ait fait les Centaures demi-hommes et
demi-chevaux.
" Ces monstres qui étaient, dit-il,
le fruit des amours de Centaurus, fils d'Ixion,
avec les cavales de Thessalie,
ressemblaient à leur père par la partie
supérieure de leur corps, et à leur
mère par l'inférieure" (Fréret, rech
sur l'anc de l'art de l'équit en Gr,
p 316.-- La citation de Pindare est
tirée de la 2e pythique,
voyez p 77 de la traduc Poyard) |
En outre, comme Fréret le
fait remarquer un peu plus loin (p319), le
scholiaste d'Homère, Didyme, fait observer que,
selon les anciens, les Centaurees du mont Pélion
étaient de la même nation que les Pérèbes.
Or Homère place les Pérèbes sur les bords du
riant Titarès, affluent du Pénée, et il les
fait venir au siège de Troie sur vingt-deux
vaisseaux, sous le commandement de Gouneus.
A la remarque de Fréret nous pouvons même
ajouter celles-ci.
Homère montre les deux chefs des Lapithes,
Polypoetès et Léontée, amenant devant Ilion
leurs troupes portées par quarante vaisseaux.
Prothoos y était également arrivé avec
quarante vaisseaux transportant ses soldats nés
sur les rives du Pénée et autour du Pélion.
Achille y avait aussi conduit sur cinquante
vaisseaux ses sujets de la Phthiotide et de l'Hellade
(Voyez Homère, Iliade, II, p 31-32) .
Les Thessaliens, parmi lesquels figuraient les
Centaures et les Lapithes, étaient venus au
siège de Troie sur cent cinquante deux vaisseaux,
portant au moins cinquante guerriers chacun.
Si ces peuples avaient dès lors combattu à
cheval, comme l'ont prétendu Virgile, Pline et
autres, Homère aurait pu en tirer un grand parti,
"soit pour
enrichir, soit même pour varier les
descriptions de combats, dans lesquels,
malgrè l'abondance et la variété de
son imagination, on est obligé de
reconnaître un peu de monotonie.
Quel motif a pu empêcher ce poète de
joindre la cavalerie aux chariots de
guerrre dans ses combats, si ce n'est la
crainte de choquer ses lecteurs par un
anachronisme contre le costume qui eût
été remarqué de tout le monde" (Fréret, rech
sur l'anc de l'art de l'équit en Gr, p
289)
"L'exemple d'Homère a été suivi
de presque tous les anciens poètes grecs,
et, lorsqu'ils parlent des temps
héroïques, ils ne font aucune mention
de l'art de monter à cheval (lisez combattre
à cheval), ils ne connaissent que l'usage
des chars, Virgile et les poètes latins
ont été moins scrupuleux qu'Homère, et
ils n'ont pas fait difficulté de donner
de la cavalerie aux Grecs et aux Troyens;
mais ces poètes, postérieurs de onze ou
douze siècles aux temps héroïques,
écrivaient dans un siècle où les
moeurs de ces premiers temps n'étaient
plus connues que des savants, et ils ont
commis tant d'anachronismes à cet égard
que leur exemple ne peut avoir aucune
autorité, lorsqu'ils s'écartent de la
conduite d'Homère" (Fréret,
rech sur l'anc de l'art de l'équit
en Gr, p 288) |
D'autres considérations,
dont Fréret n'a point parlé, vont achever de
montrer combien sont justes les conclusions de ce
savant.
Pour les poètes et pour les artistes
postérieurs de quelques siècles à Homère et
à Hésiode, l'arc est l'arme habituelle des
Centaures, qui sont même représentés comme de
très habiles archers;
ce qui revient à dire que les peuples de la
Thessalie, dont ils étaient l'emblème, étaient
eux-mêmes d'excellents archers à cheval. Leur
supériorité était tellement admise que c'est l'un
d'eux, le centaure Chiron, que les poètes post
homériques ont choisi pour instruire Achille
dans l'art de tirer à l'arc.
Nous ignorons si Achille s'est jamais servi d'un
arc, mais ce n'est pas l'arme que lui donne
Homère.
L'arme d'Achille, c'est
"la javeline
de son père, arme formidable que nul
parmi les Grecs ne peut brandir.
Jadis, pour l'illustre Pélée, Chiron
choisit, sur les cimes du Pélion, un
énorme frêne, funeste à bien des
héros; Achille seul le manie facilement" (Iliade, XIX, p.282). |
C'est avec cette lance
terrible qu'il accomplit tous ses exploits et qu'il
vainquit Hector.
Achille n'est pas
le seul Thessalien auquel Homère refuse
l'usage de l'arc, qu'il accorde à tant d'autres
héros grecs et troyens. On ne voit dans
l'Iliade aucun archer thessalien,
pas même parmi les Perèbes ou Centaures,
ni parmi les Lapithes. Les faits d'armes
de Gouneus et de Prothoos n'y sont même
nullement signalés.
En revanche, un long épisode du chant XII (vers
127-194, pages167-169 de la traduction)
est consacré à célébrer les exploits
des deux Lapithes Polypoetès et
Léontée, qui pendant un instant
soutiennent à eux seuls tout l'effort d'un
gros de Troyens, en avant des portes du
camp grec. Leurs armes sont la lance ou
javeline, doru (?), et le xiphos
oxu (?), espèce de courte épée ou
de grand poignard pointu, dont la lame à
double tranchant avait la forme d'une
feuille allongée. On voit aussi, à la
fin du chant XXIII, ces deux héros parmi
ceux qui disputent le prix du disque, aux
jeux donnés en l'honneur de Patrocle; c'est
même Polypoetès qui remporte le prix
consistant en un énorme disque de fer;
mais aucun Lapithe ni aucun autre
Thessalien ne se présente pour disputer
le prix du tir à l'arc.
|
Les renseignements
d'Hésiode sont en parfaite
concordance avec ceux d'Homère; ses
Lapithes et ses Centaures ne se servent
pas d'arc; ils combattent uniquement avec
des lances, et avec des épieux de sapin
ou peut-être des massues de sapin, (Le Bouclier d'Herc..
vers 190).
On constate donc une différence
complète dans la façon de combattre des
Centaures et des Lapithes, c'est à dire
des Thessaliens contemporains de
Pirithoüs, suivant que l'on consulte, d'une
part Homère et Hésiode, d'autre part
les autres poètes plus récents; ce qui
prouve bien que ces derniers ont commis
un anachronime, en prêtant aux
Théssaliens des temps héroïques une
manière de combattre qu'ils n'adoptèrent
que plus tard.
Les Thessaliens n'ont donc pas plus
combattu à cheval vers l'époque de la
guerre de Troie que les autres peuples de
la Grèce et que ceux de l'Asie Mineure.
La fiction des Centaures biformes est
réellement née postérieurement à l'époque
d'Homère et d'Hésiode. Ce qui a donné
naissance à cette fiction relativement
tardive chez les Grecs, ce n'est pas que
les |
Thessaliens aient
alors inventé l'art de monter à cheval,
qui était depuis longtemps connu en
Grèce, comme l'indique surtout la scène
des cavaliers décrite par Hésiode dans
le Bouclier d'Hercule .
Il est même fort douteux que cette
fiction provienne de ce que les
Thessaliens auraient acquis l'habitude de
combattre à cheval avant les autres
peuples grecs; car cette habitude paraît
avoir pris naissance à peu près en
même temps chez tous ces peuples, à l'époque
où l'usage si onéreux des chars de
guerre est tombé en désuétude. Ce qui,
à notre avis, doit avoir donné
naissance en Grèce à la fiction du
centaure, de l'homme cheval, de l'homme
ne faisant qu'un avec son cheval, c'est
que les Thessaliens sont devenus les plus
habiles cavaliers de la Grèce dans les
temps historiques, comme ils avaient
été les meilleurs conducteurs de chars
dans les temps héroïques.
On sait en effet que le plus habile
conducteur de char de L'Iliade
est un Thessalien; c'est le cocher d'Achille,
Automédon, dont le nom est devenu
synonyme d'excellent cocher grâce à
Homère. |
On vient de voir que,
suivant Fréret, le nom des Centaures
signifierait Pique-Boeufs.
Les hellénistes ont longtemps admis la réalité
de ce sens, en considérant le mot....., comme
une contraction de ..., piquer et de ..., taureau;
mais, dans ces derniers temps, des philologues
ont identifié les mots sanscrits gandharva,
zend gandareva, grec....., et ils leur
ont assigné plusieurs autres étymologies. Ainsi,
suivant Pictet (orig. indo-europ.,
tII, p 760)
"Ebel
décompose le sanscrit gandharva
en gandh-arva, comme le grec
.... en ...-...., celui qui éperonne le
cheval, pferdestachler, en
considérant ...., comme allié à gandhai,
laedere, vexare, et ... à arvant,
cheval;" |
étymologie que Pictet
regarde d'ailleurs comme irrégulière et
douteuse.
Suivant M. Emile Burnouf (Essai
sur le Véda, p 369),
le mot gandharva serait dérivé de
gandha , odeur, et de arvan, cheval,
et il signifierait le cheval-des-odeurs, c'est à
dire qui porte aux dieux l'offrande du sacrifice.
Plus récemment M.Abel Hovelacque a fait observer
que le professeur Kuhn admet pour le nom des gandharvas
hindous l'origine étymologique que proposaient
les Hindous eux-mêmes, à savoir gavam,
vache, et dhâraka, porteur, "porteur
des vaches célestes, des nuées".
M. Hovelacque regarde comme plus probable que les
thèmes, grec ...., sanscrit gandharva,
zend gandarewa, proviennent d'une forme
commune ghandharva (au nominatif ghandharvas),
qu'il fait venir du verbe ghu cacher, et
de dharva, inexpliqué.
Enfin M. Hovelacque
ajoute en terminant:
" Je dois
faire observer qu'un dictionnaire
sanscrit cite un vocable "guha,
masculin, cheval rapide".
J'ai consulté le vocabulaire de M.
Benfey, et je l'ai trouvé muet sur ce
point. Si en tout cas le mot existe
réellement, il ne saurait être sans
intérêt dans la présente question (Abel Hovelacque, Le
nom des Centaures, dans la Revue
de linguistique et de philologie
comparée, t. II, 1868, p 468.) |
Après avoir pris
connaissance de ces divers renseignements, le
lecteur adoptera sans doute l'opinion de
plusieurs autres philologues, qui déclarent tout
à fait problématique l'étymologie des mots Centaures,
Gandharvas et Gandarewa.
Ajoutons que, si
les Centaures sont donnés comme des
monstres biformes issus de race humaine
dans le légende grecque, il n'en est pas
de même du Gandarewa dans la mythologie
iranienne, ni des Gandharvas dans la
mythologie hindoue. Le Gandarewa de l'Avesta
est un démon colossal qui rôde autour
de la mer Vourukasha pour ravir l'arbre
sacré, le gaokerena; il n'est
donné ni comme un monstre biforme, ni
comme un être combattant monté sur un
cheval. Quant aux Gandharvas hindous, ce
sont des musiciens célestes attachés à
la cour d'Indra, ce sont des génies
créés en même temps que le |
monde, lequel est
composé des êtres mythologiques, des
étoiles, des corps bruts, du genre
humain et des animaux aquatiques,
aériens et terrestres (Loi de Manou,
I, 36-40) L'une
des attributions des Gandharvas, dans le
Véda, consiste à conduire le char d'Indra;
mais, s'ils savent diriger les chevaux,
comme tous les dieux du panthéon hindou,
ils ne sont jamais donnés comme de
véritables cavaliers, ni comme des
monstres biformes. Ce sont d'autres
génies, les Kinnaras, autres musiciens
célestes, attachés au service de
Kouvéra, dieu des richesses, qui sont
représentés dans la mythologie hindoue,
comme des monstres biformes à corps |
d'homme et à
tête de cheval (Loi de Manou, I,39)
On ne trouve donc rien, ni dans les
considérations sur l'étymologie des
mots Centaures, Gandharvas et Gandarewa,
ni dans les renseignements de la
littérature hindoue sur les Gandharvas,
ni dans ceux de la littérature iranienne
sur le Gandarewa, qui puisse infirmer l'opinion
que nous venons d'émettre sur l'origine
et le sens de la fable des Centaures chez
les Grecs.
L'histoire des Centaures, des Gandharvas
et du Gandarewa, montre du reste qu'on
fait fausse route en chechant à
rattacher leurs noms à l'un quelconque
des anciens noms aryens du cheval. |
On voit aussi combien est erronée l'opinion
rapportée par Paul Gervais
dans son Histoire. nat. des
mammif., t II, p.144,
opinion suivant laquelle la cavalerie "des
Scythes, aujourd'hui les Tartares", aurait
donné naissance à la fable des Centaures, parce
que,
"lorsqu'ils
vinrent en Thrace, les Grecs en furent si
effrayés qu'ils crurent que l'homme et l'animal
ne formaient qu'un seul corps." |
Non seulement la fable des
Centaures ne doit pas son origine à une ancienne
irruption en Thrace des cavaliers tartares; mais
encore les Grecs n'ont jamais pu se méprendre
sur la nature zoologique des cavaliers, car ils
avaient amené des chevaux en Grèce lors de leur
arrivée dans ce pays, comme on le verra dans le
paragraphe suivant.
Piétrement 1882
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Jeux
troyens
Enfin, pour terminer ce qu'il
y avait à dire sur l'antiquité de l'art de l'équitation
en Grèce et en Asie Mineure, nous rappellerons
qu'après avoir représenté Ascagne dirigeant un
carroussel en Sicile, près du tombeau d'Anchise,
Virgile ajoute:
" Dans la
suite, Ascagne le premier renouvela ces
usages, ces courses, ces combats, lorsqu'il
entourait de remparts Albe la Longue; il
enseigna aux peuples anciens du Latium
ces jeux que lui-même, dans son enfance,
il célèbrait avec la jeunesse troyenne;
les Albains les transmirent à leurs
descendants, et c'est d'eux que la
superbe Rome les a reçus; elle conserve
fidèlement cette fête de ses aïeux, et
maintenant ces jeux ont conservé le nom
de Troie, et les enfants qui les
célèbrent celui de légion troyenne." (Virgile, Enéide,
V, p397) |
En lisant la description
du carroussel d'Ascagne, fils d'Enée, on s'aperçoit
que Virgile commet l'un de ces anachronismes que
Fréret vient de lui reprocher; car il n'est
guère admissible que les jeunes cavaliers
troyens aient retracé des simulacres de combats
à la lance, puisq'il n'existait pas plus en Asie
Mineure qu'en Grèce de lanciers combattant sur
des chevaux à l'époque de la guerre de Troie.
Il est toutefois possible que les carroussels de
l'ancienne Rome se soient appelés jeux troyens,
en souvenir d'exercices exécutés dès l'époque
de la guerre d'Ilion, par des Troyens montés sur
des chevaux; car les habitants de l'Asie Mineure
devaient dès lors, tout aussi bien que ceux de
la Grèce, monter à cheval en diverses
circonstances, notamment pour célébrer
certaines fêtes, analogues à celle qu'Hésiode
a décrite dans son Bouclier d'Hercule,
et que l'on ne saurait trop rappeler.
Les peuples de l'Asie
Mineure et de la Grèce avaient en effet les
mêmes moeurs et les mêmes habitudes.
Les fréquentes relations qu'ils avaient entre
eux, et les nombreux exemples soit de Grecs
allant comme Bellérophon s'installer en Asie
Mineure, soit d'habitants de ce pays venant comme
Pélops chercher fortune en Grèce, suffiraient
pour indiquer l'existence de ce fait, si elle n'était
déjà prouvée par les poésies homériques.
Mais il ne faut pas confondre des jeux équestres
avec des combats équestres.
Nous pouvons donc
répéter que, durant la période comprise entre
l'aurore des temps historiques et les derniers
siècles de l'ère ancienne, l'usage des chars de
guerre et celui de la cavalerie ont été
successifs en Asie Mineure et en Grèce, au lieu
d'être simultanés comme en Perse et dans l'Inde.
Piétrement 1882
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