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LES
CHEVAUX EN ARABIE (chap. VIII)
Absence
initiale des chevaux de la péninsule arabique
Certains auteurs,
notamment le docteur Perron, ont prétendu que le
cheval est originaire de l'Arabie et que toutes
les races chevalines actuelles sont la
postérité plus ou moins dégénérée de celle
qui a été domestiquée dans cette contrée,
puisque les chevaux qu'on y élève aujourd'hui
sont les plus beaux et les meilleurs.
En raisonnant ainsi, ces auteurs ont assis leur
opinion sur la base fragile d'une vue très
contestable de philosophie naturelle, au lieu de
l'appuyer sur l'examen des faits. [...]
L'opinion de ces auteurs les a naturellement
conduits à croire que les chevaux ont de tout
temps existé en Arabie; tandis qu'en réalité,
malgré l'assertion contraire de certaines
légendes arabes, ou plutôt musulmanes, les
chevaux n'existent dans cete péninsule que
depuis une époque relativement récente, peu
éloignée du commencement de notre ère. C'est
ce qu'avaient déjà avancé William
Youatt (Voyez Youatt,
Le cheval, traduit de l'anglais, The
horse, p.16 et 58-60.)
et surtout M. le colonel Duhousset
(Voyez Duhousset, Notice sur
les chevaux orientaux, dans le Jiurnal
de méd. vétérin. milit., t Ier, p 439-444)
en invoquant le témoignage de documents fournis
par la Bible et par les auteurs grecs et latins.
Ces documents, seront exposés, avec ceux des
textes cunéiformes assyriens, après l'examen de
la valeur des légendes musulmanes précitées,
dont la défense a surtout été tentée par le docteur
Perron, dans l'Introduction
intitulée Prodrome ou
Institutions hippiques des Arabes,
qu'il a placée en tête de sa traduction du Nacéri
et qui remplit tout le tome premier de cette
publication.[....]
.....[....] ce n'est point sur
les documents historiques si défectueux des
Arabes que Perron
a fondé sa croyance à l'antiquité de l'existence
des chevaux en Arabie. Il croit que les chevaux
ont été domestiqués en Arabie, perfectionnés
par les Arabes du désert, peut-être avant tout
par les Bédouins du sud-est de l'Arabie,
uniquement par la raison qu'il a donnée plus
haut:
"Plus on se
rapproche de l'Arabie, plus le cheval se
produit et se conserve facilement avec
ses riches qualités." |
~
[....] étant peu sensible
aux considérations d'ordre philosophique qui ont
suffi pour convaincre Perron, Link et autres
auteurs, nous chercherons des renseignements sur
l'histoire ancienne des chevaux en Arabie dans
les documents fournis par les peuples étrangers
qui ont eu des relations avec les Arabes, puisque
les documents de ce dernier peuple sont
incapables d'éclairer la question.
[....]
De tous les écrivains de l'antiquité grecque et
romaine dont les ouvrages nous sont parvenus,
celui qui s'est trouvé dans les meilleures
conditions pour connaître l'état de l'Arabie au
siècle d'Auguste, immédiatement avant l'ère
chrétienne, c'est incontestablement Strabon,
puisque, il nous l'apprend lui-même, il était
camarade et ami du préfet d'Egypte, Ælius
Gallus, avec lequel il remonta le Nil jusqu'à
Syène et aux frontières de l'Ethiopie, et dont
l'expédition " dans l'Arabie Heureuse
" fournit à Strabon beaucoup de nouveaux
renseignements "sur les curiosités de l'Arabie
". (Strabon, II, v. 12, et
XVI, IV, 22.)
[....]
Piétrement 1882
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Pline a aussi parlé de l'expédition de Gallus
dans son liv.VI, à la fin du long chapitre XXXII,
consacré à la description de l'Arabie; il y
constate que cette expédition a appris les noms
de plusieurs villes arabes inconnues des auteurs
antérieurs; et il donne dans son liv.VIII, ch.
LXIV-LXVII, de nombreux renseignements sur les
chevaux de différents peuples; mais, ni dans ces
livres ni ailleurs, il ne fait aucune espèce d'allusion
aux chevaux de l'Arabie.
Quant à Strabon,
voici ses renseignements sur les animaux
domestiques de l'Arabie:
" L'Arabie
Heureuse est habitée par une population
exclusivement agricole, la première de
cette sorte que nous ayons recontrée
depuis les populations agricoles de la
Syrie et de la Judée. Vient ensuite une
contrée sablonneuse et stérile, qui
offre pour toute végétation quelques
rares palmiers, avec des acanthes et des
tamaris, et qui n'a, comme la Gédrosie,
que de l'eau de puits: cette contrée est
habitée uniquement par des Arabes et par
des pâtres ou éleveurs de chameaux. L'extrémité
méridionale du pays en revanche, ou en d'autres
termes, la partie de l'Arabie qui semble
s'avancer à la rencontre de l'Ethiopie,
est largement arrosée par les pluies d'été
et donne, ainsi que l'Inde, deux
récoltes par an. Ajoutons qu'elle
possède un certain nombre de fleuves ou
de cours d'eau qui vont se perdre, soit
dans les plaines, soit dans des lacs; que
tous les produits de la terre y sont
excellents, qu'elle fait en outre
beaucoup de miel et nourrit une très
grande quantité" de têtes de
bétail, parmi lesquelles, il est vrai ne
figurent ni chevaux, ni mulets, ni porcs,
de même qu'on ne compte ni poules ni
oies dans la multiude de volatiles qu'elle
nourrit également. Quatre peuples
principaux se partagent cette extrémité
de l'Arabie: les Minaei, le long de la
mer Erythrée, avec Carna ou Carnana pour
capitale; immédiatement après les
Sabaei, avec Mariaba pour chef-lieu;
troisièmement les Cattabanées, dont le
territoire s'étend jusqu'à l'étroit
canal où s'opère habituellement la
traversée du golfe et dont les rois ont
pour résidence une ville appelée Tamna;
puis, pour finir, à l'extrémité
orientale du pays, les Chatramôtitae,
avec la ville de Sabata pour capitale." (Strabon, liv.
XVI, ch. IV, § 2.) |
Strabon
dit plus loin en décrivant les côtes orientales
du golfe Arabique:
"Après qu'on
a longé une côte d'aspect très âpre
et dépassé encore plusieurs golfes ou
enfoncements, on arrive à hauteur d'une
contrée possédée (en partie) par des
nomades, qui ne vivent et ne subsistent,
on peut dire, que par leurs chameaux,
ceux-ci leur servant à la fois pour la
guerre, pour les voyages, pour les
transports, et leur fournissant leur lait
comme boisson et leur chair comme aliment.....
La nation des Dèbes (tel est le nom qu'on
leur donne) se partage en tribus nomades
et en tribus agricoles (c'est par
exception que j'ai nommé les Dèbes); en
général, je passe sous silence les noms
des tribus que je rencontre, ils sont si
peu connus en vérité et d'autre part
leur forme étrange les rend pour nous si
difficiles à prononcer
et à transcrire." (Strabon, liv.XVI,
ch. IV, §18.) |
[...]
Hérodote
ne fait nulle part aucune mention des chevaux des
Arabes et de l'Arabie,
"le dernier
pays habité du côté du midi" (III,
107); |
bien que, dans ses
renseignements sur les produits de cette contrée,
il n'oublie pas de signaler ses boeufs et ses
ânes (III,111) , ses chèvres et ses boucs (III,
112) et ses deux espèces de moutons, toutes les
deux caractérisées par la largeur de la queue (III,113).
Polybe ne parle pas non plus des chevaux des
Arabes, bien qu'il mentionne les soldats de ce
peuple dans l'armée d'Anthiochus le Grand (V, 71,79,82et
85).
[....]
Piétrement 1882
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bas relief assyrien: une
prisonnière arabe conduisant 4 chamelles (dromadaires)
(B.M.)
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Tels sont les documents fournis par les auteurs
grecs et latins. On voit que Perron avait tort de
parler
"du silence
des historiens de l'antiquité grecque et
romaine sur les chevaux arabes." |
Strabon, renseigné par un
témoin oculaire, par Gallus, ne garde pas le
silence sur les chevaux de l'Arabie: il répète
deux fois qu'il n'y en a pas; et, quand Hérodote
dit que tous les Arabes de l'armée de Xerxès
étaient montés sur des chameaux, il faudrait
avoir l'oreille bien dure pour ne pas entendre qu'aucun
d'eux n'avait de cheval.
L'absence des chevaux en Arabie, dans les temps
anciens, indiquée par Hérodote et par Strabon,
est d'ailleurs confirmée par la façon dont la
Bible et les textes cunéiformes assyriens
parlent des Arabes et de l'Arabie.
On ne sait où habitait le chef arabe Djendib ou
Gendibou, cité d'après une inscription de
Salmanasar III; mais, qu'il ait vécu à l'intérieur
ou en dehors de la péninsule Arabique, il n'en
est pas moins certain qu'il n'avait pas de
chevaux, puisque le contingent qu'il fournit à l'armée
de Benhadar, roi de Damas, consistait uniquement
en mille combattants montés sur des chameaux.
Parmi les royaumes arabes des inscriptions
cunéiformes, l'un paraît avoir été
invariablement gouverné par une reine, dont la
capitale était Doumou, la Daumat-el-Djandal
actuelle, au nord de l'Hedjaz.
"Il
embrassait le canton de Daumat, le Dauf
et peut-être le Djébeel-Shomer." (F. Lenormant, Hist.
anc. de l'orient, t III, p 323-324) |
Il était par conséquent
situé dans la Péninsule.
Deux reines de ce pays, Zabibié, puis Samsié, s'étaient
volontairement soumises à Téglathphalasar II,
ou, en d'autres termes, elles lui faisaient des
présents, pouvant être considérés comme un
impôt de douane, afin d'obtenir l'autorisation
de faire pénétrer les denrées commerciales de
leur pays en Syrie et dans la vallée de l'Euphrate.
Mais, en l'an 733 avant notre ère, Samsié s'associa
à la révolte de Rasin, roi de Damas, et, l'année
suivante, Téglathphalasar II, envahit tout le
territoire des Arabes de Doumou et prit leur
capitale. Or, d'après une inscription
cunéiforme de Téglathphalasar II, transcrite
dans l'ouvrage de Layard (W.A.I., t.III), et dont
Oppert a bien voulu nous donner le sens, on voit
p.10, ligne 31, que les seuls animaux enlevés en
cette circonstance aux sujets de Samsié par
Téglathphalasar II consistait en 30 000 chameaux
et 20 000 boeufs [...]
Dans une autre inscription
traduite par M. Ménant
dans les Annales des rois d'Assyrie,
Téglathphalasar II donne en ces termes, p. 146
et 147, la liste générale des tributs qu'il a
reçus
"J'ai reçu
des tributs de Kustaspi, de la ville de
Kummuk; de Rasun ....; de Zabibié, reine
du pays d'Aribi; de l'or, de l'argent, de
l'étain, du fer..., des vêtements bleus,
des vêtements de pourpre, du cèdre, du
pin..., des chevaux, des nirnunna,
des boeufs, des brebis, des chameaux
femelles et des bêtes de somme." |
Mais il est clair qu'une
pareille énumération ne peut indiquer ce que
Téglathphalasar II a reçu en particulier de
chacun des personnages cités; on ne peut en
inférer qu'il a reçu de la reine arabe Zabibié
des chevaux, du cèdre, du pin, etc..; d'autant
plus que, dans aucune des inscriptions
cunéiformes où les chefs arabes sont désignés
en particulier, il n'est jamais question de
chevaux.
La même remarque s'applique évidemment à la
phrase suivante, tirée de la grande
inscription , dans laquelle Sargon
raconte ses campagnes sans tenir compte de l'ordre
chronologique; et dans laquelle il dit :
"J'imposai
des tributs à Pharaon, roi d'Egypte, à
Samsié, reine d'Arabie, à It Himyar le
Sabéen; de l'or, des herbes odorantes,
des chevaux, des chameaux."
(Oppert, Les
Sargonides, p.22;- le nom It
Himyar est la traduction de l'assyrien
It Amara, que M. Oppert a depuis
rendu par It Amer, dans son Mémoire sur
les rapports de l'Egypte et de l'Assyrie,
p. 15). |
Les chevaux en question
provenaient évidemment d'Egypte; de même que
les chameaux provenaient, sinon en totalité, du
moins en immense majorité des chefs arabes,
comme d'autres documents vont achever de le
montrer.
Sennachérib avait fait des razzias jusque chez
les Arabes de la région méridionale du Bahrein
actuel; l'année suivante, il avait vaincu la
reine de Doumou; et Assarhaddon dit dans le
prisme que possède le British Museum :
" La ville d'Al
Doumou, la ville de la puissance des
Arabes, qu'avait prise Sennachérib, roi
d'Assyrie, le père qui m'a engendré, je
l'ai de nouveau attaquée et j'en ai
transporté les habitants en Assyrie...
Je nommai à la royauté des Arabes une
femme du nom de Taboua, tirée de mon
harem. Comme compensation pour les dieux
que je restituai à ce pays, j'augmentai
de soixante-cinq chameaux le tribut que l'on
payait à mon père." (F. Lenormant,
Hist. anc. de l'Orient, t. III, p. 328-329.) |
Assarhaddon raconte
ensuite ce qu'il fit dans un autre royaume arabe,
celui de l'Hedjaz:
" Les jours
de Haçan avaient touché leur terme. J'ai
mis son fils Yala sur le trône. J'ai
augmenté son tribut, en outre de ce que
payait son père, de dix mines d'or, de
mille pierres birout et de
cinquante chameaux de l'espèce la plus
estimée " . (F. Lenormant,
Hist. anc. de l'Orient, t III, p 329).
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Assarhaddon pénétra
même dans le sud de la Péninsule, au delà du
désert de Dahnâ, jusqu'au pays de Bâzi et aux
montagnes de granit du canton de Kazou, situées
dans l'intérieur du Hadramaut.
[....]
Des révoltes
entraînèrent aussi Assourbanipal ou Sardanapale
V en Arabie,[....]
M. Lenormant l'a déjà fait observer, dans sa
première année de campagne contre l'Arabie,
Sardanapale V traversa d'abord des solitudes de
sable, "des domaines de la soif", pour
arriver dans un lieu nommé Khourarin, "où
l'armée but de l'eau de source ", et situé
dans le Djebel Shomer actuel, comme le montrent
les distances indiquées dans le texte avec
précision.
Puis il parcourt et ramène à la soumission tout
le plateau central de la Péninsule. L'année
suivante, il quitte ce plateau, se dirige à l'ouest,
atteint Djisdha (Djedddah), s'en empare, traverse
l'Hedjaz en remontant vers le nord, prend
successivement Yanbo et Yattrib (Médine) et
gagne la Syrie en passant au travers du pays des
Nabatéens, dont le roi est obligé de se
soumettre. (Voyez F. Lenormant, Hist.
anc. de l'Orient, - id III p 331-335.)
Or, d'après la traduction de M.
Ménant (Annales des rois d'Assyrie ,
page 273), voici ce que
Sardanapale V raconte à propos de la prise de
Hurarina ou Khourarin:
" j'ai pris
des hommes, des bêtes de charge, de
chameaux et un butin considérable." |
Il ajoute quelques lignes
plus bas, à propos de la prise de Kuraziti,
défendue par le fils du roi du pays d'Aribi (Arabie):
" Je me suis
emparé de ses dieux, de sa mère, de ses
femmes, de son épouse, de ses enfants,
des gens de son pays, des bêtes de somme,
des chameaux, des moutons; je les ai
consacrés au service d'Assur et d'Istar,
mes seigneurs, et je lui ai fait prendre
la route de Dimaska (Damas). " |
Enfin, il fait connaître
dans la même page quel fut le fruit de ses
nombreuses victoires sur tous les Arabes, y
compris les Nabatéens (Nabaïti) :
"Je me suis
emparé de boeufs, de moutons, de bêtes
de somme, de chameaux et de captifs, sans
nombre. J'ai balayé le pays dans toute
son étendue, et j'ai réuni tout ce qu'il
produisait; j'ai fait distribuer les
chameaux comme des troupeaux de moutons
à tous les hommes du pays d'Assur qui
habitaient la contrée." |
Nous avons surabondamment
montré
[....]
que les rois d'Assyrie prenaient des chevaux dans
les combats et en imposaient, comme tribut, à
tous les peuples asiatiques sur lesquels ils
établissaient leur domination et qui étaient en
possession de ces animaux.
Puisque, d'autre part, on vient de le voir, les
chevaux ne figurent jamais dans l'énumération
des diverses sortes d'animaux capturés sur les
Arabes, ou qui leur sont imposés comme tribut
par les rois d'Assyrie, même par Sardanapale V,
qui se vante d'avoir réuni tout ce que
produisait l'Arabie, on est forcé d'en conclure
que les renseignements des textes cunéiformes
sont en parfait accord avec ceux d'Hérodote et
de Strabon; et ceux de la Bible ne font que les
confirmer.
Piétrement 1882
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détails de bas-relief assyrien (d'ap.ph.
B.M.)
haut
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