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Absence
initiale des chevaux de la péninsule arabique (suite)
Aussitôt que les frères
de Joseph l'eurent jeté dans une citerne vide,
" ils s'assirent
pour manger du pain; et levant les yeux
ils regardèrent, et voici une troupe d'Ismaélites
qui passaient, et qui venaient de Galaad;
et leurs chameaux portaient des drogues,
du baume et de la myrrhe; et ils allaient
porter ces choses en Egypte." (Genèse,
XXXVII, 25.)
"Or la reine de Séba, ayant appris
la renommée de Salomon à cause de l'Eternel,
le vint éprouver par des questions
obscures. Et elle entra dans Jérusalem
avec un fort grand train, et avec des
chameaux qui portaient des choses
aromatiques et une grande quantité d'or
et de pierres précieuses; et, étant
venue à Salomon, elle lui parla de tout
ce qu'elle avait en son coeur... Puis
elle fit présent au roi de six vingts
talents d'or et d'une grande quantité de
choses aromatiques, avec des pierres
précieuses. Il ne vint jamais depuis une
aussi grande abondance de choses
aromatiques, que la reine de Séba en
donna au roi Salomon.... Et le roi
Salomon donna à la reine de Séba tout
ce qu'elle souhaita, et ce qu'elle lui
demanda, outre ce qu'il lui donna selon
la puissance d'un roi tel que Salomon.
Puis elle s'en retourna et revint en son
pays avec ses serviteurs. " (I Rois,
X, 1,2,10 et 13.) |
Le IIe livre
des Chroniques (IX, 1,
9 et 12) parle dans les mêmes
termes de la reine de Séba ou Saba.
Il n'est nullement question de chevaux dans le
passage d'Isaïe (XXI, 13-17) où il prédit la
ruine de l'Arabie, notamment de Téma et de
Kédar; et voici comment ce prophète annonce la
prospérité future de Sion :
" Une
abondance de chameaux te couvrira; les
dromadaires de Madian et de Hépha, et
tous ceux de Séba, viendront; ils
apporteront de l'or et de l'encens, et
publieront les louanges de l'Eternel.
Toutes les brebis de Kédar seront
assemblées vers toi; les moutons de
Nébajoth seront pour ton service; ils
seront agréables, étant offert sur mon
autel, et je rendrai magnifique la maison
de ma gloire. " (Isaïe, LX, 6-7.)
"Quant à Kédar, et aux royaumes de
Hatsor, lesquels Nébucadnetsar, roi de
Babylone, frappera, ainsi a dit l'Eternel
: Levez-vous, montez vers Kédar et
détruisez les enfants d'Orient. Ils
enlèveront leurs tentes et leurs
troupeaux, et prendront pour eux leur
tentes, et tout leur équipage, et leurs
chameaux, et on criera : frayeur tout
autour! " (Jérémie, XLIX, 28-29.) |
Enfin, dans la description
du commerce de Tyr, Ezéchiel
nous apprend (XXVII, 14) que c'étaient les gens
de Togarma, c'est à dire de l'Arménie, qui
approvisionnaient ses marchés en chevaux et en
mulets; puis il dit plus loin (XXVII, 21-22) :
"Les Arabes
et tous les principaux de Kédar ont
été des marchands que tu avais en ta
main, trafiquant avec toi en agneaux, en
moutons et en boucs. Les marchands de
Séba et de Rahma ont été tes facteurs,
faisant valoir tes foires en toutes
sortes de drogues les plus exquises, et
en toutes sortes de pierres précieuses,
et en or. " |
La Bible dépeint donc
aussi les Arabes, notamment Saba ou les Sabéens
de l'Yémen, comme de simples éleveurs de
bestiaux, surtout de chameaux, et comme des
marchands d'or, de pierres précieuses et d'aromates;
mais elle ne leur accorde jamais de chevaux.
Piétrement 1882
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La Bible
fait le même portrait des Ismaélites, ainsi que
des tribus de Téma, de Kédar et de Nébajoth ou
mieux Nébayoth, lesquelles étaient trois tribus
ismaélites,car voici quels sont les noms des
douze tribus ismaélites, ou, pour parler le
langage biblique encore usité en Orient,
" ce sont ici
les noms des enfants d'Ismaël, desquels
ils ont été nommés dans leurs
générations ; Le premier né d'Ismaël
fut Nébajoth, puis Kédar, Adbéel,
Mibsam, Mismah, Duma, Massa, Hadar, Téma,
Jétur, Naphis et Kedma. Ce sont là les
enfants d'Ismaël, et ce sont là leurs
noms, selon leurs douars et leurs villes
(David Martin, dont nous suivons
habituellement la traduction, dit "leurs
villages et leurs châteaux ". Mais
le mot hébreu qu'il rend par village
signifie proprement un campement de
nomades, un assemblages de tentes, ce que
les Arabes appellent un douar,
mot qui est devenu français. Quant au
mot hébreu qu'il rend par château, il
signifie une ville murée, une enceinte
fortifiée), douze princes de leurs
peuples. " Genèse, XXV, 13-16.) |
La Bible dit en outre que
ces douze enfants d'Ismaël ou tribus ismaëlites
habitaient " en vue de leurs frères "
(les Hébreux); depuis Avila jusqu'à Sur, c'est
à dire depuis l'Euphrate jusqu'à la frontière
d'Egypte (Genèse, XXV, 18).
En d'autres termes, leur domaine était le
désert de Syrie, situé au sud de la Palestine,
ainsi que les dernières ramifications des
montagnes qui bordent ce désert au sud et au
nord; domaine où quelques unes de ces tribus
étaient devenues sédentaires, puisq'elles
habitaient des villes, mais où d'autres
habitaient encore sous la tente, notamment celle
de Kédar, dont Jérémie vient de parler. Enfin,
toutes ces tribus ismaëlites étaient
évidemment de famille arabe, puisque deux d'entre
elles, celle de Téma et celle de Kédar, sont
positivement données comme telles par Isaïe (XXXI,
13-17). Ajoutons que, en donnant ces Arabes comme
les frères des Hébreux, la Bible a énoncé une
vérité ethnique, dans un langage figuré,
quoiqu'on ne puisse en dire autant de quelques-unes
de ses autres listes généalogiques, qui ne sont
rien autre chose que des descriptions purement
géographiques.
Tels sont les renseignements généraux sur la
nationalité et l'aire géographique des tribus
désignées par la Bible sous le nom
générique d'Ismaélites; mais il reste à
déterminer quelles étaient les localité
respectivement occupées par les tribus de Kédar,
de Téma et de Nébayoth.
Les gens de Kédar étaient évidemment des
Arabes nomades du désert, aussi enclins au
pillage qu'au trafic, dont les habitudes
rappellent celles des Bédouins et des Touaregs
de nos jours. Cela ressort clairement de la
comparaison des textes précités d'Isaïe, de
Jérémie et d'Ezéchiel avec celui du psaume CXX,
5-6:
"Hélas! que
je suis misérable de séjourner en
Mésec et de demeurer aux tentes de
Kédar! que mon âme ait tant demeuré
avec celui qui hait la paix! " |
Les Arabes qu'Isaïe (XXI,
14) appelle "les habitants du pays de Téma
" ne peuvent être que les Thémudéens ou
Tamoudites, dont la catastrophe légendaire est
racontée dans le Koran (VII, 71-77), qui
habitaient l'Arabie Pétrée, et qu'il ne faut
pas confondre avec leurs homonymes de l'Arabie
Heureuse." (Voyez Noël
Desvergers, Arabie, p.6 et 49).
Enfin, suivant l'opinion émise par Quatremère
dans le Nouveau journal
asiatique, fevrier 1835,
et adoptée par Noêl Desvergers
(Arabie, p. 92-93),
les Nabatéens ne seraient pas nommés dans le
texte hébreu de la Bible; d'où Quatremère
conclut que,
"pendant le
temps de l'existence des royaumes d'Israël
et de Juda, les Nabatéens n'avaient
point encore formé d'établissement dans
l'Arabie Pétrée." |
Mais cette conclusion n'est
plus soutenable depuis que les inscriptions
cunéiformes, notamment celle d'Assourbanipal
du cylindre A de Koyoundjik,
ont montré les Nabatéens puissamment installés
dans l'Arabie pétrée avant la chute des
royaumes d'Israël et de Juda. Les anciens
Hébreux ont donc connu les Nabatéens, dont la
capitale, Pétra, n'était qu'à une quarantaine
de kilomètres de la mer Morte.
Il est même difficile d'admetre que la Bible n'ait
fait aucune mention de ce peuple, l'un des plus
riches, des plus puissants et des plus célèbres
de l'Arabie Pétrée; et il nous est également
difficile de ne pas reconnaître son nom dans
celui de Nébayoth, que la Genèse déclare
précisément le premier des enfants d'Ismaël,
et qui était un peuple riche en moutons à l'époque
d'Isaïe, comme on vient de la voir.
Notre opinion sur l'identité de Nébayoth et des
Nabatéens est d'ailleurs aujourd'hui celle des
Israélites instruits; et Nébayoth est même
déjà rendu par Nébat dans le Targum, ou
paraphrases chaldaïques de l'Ancien Testament,
rédigées au 1er siècle de l'ère chrétienne.
Nous n'avons pas à chercher quelles ont
pu être les demeures particulières des autres
tribus d'Arabes Ismaélites de la Bible, puisqu'elle
ne donne aucun renseignement sur les animaux qu'elles
ont possédés; mais on peut toutefois observer
que la tribu de Duma doit être celle dont la
capitale Doumou fut prise par Sennachérib et par
son fils Assarhaddon; et que, par conséquent,
elle paraît aussi avoir été dépourvue de
chevaux au moins jusqu'au VIIe siècle
avant l'ère chrétienne.
Piétrement 1882
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Quoi qu'il en soit,
l'ensemble des documents qui précèdent permet
de tirer les conclusions suivantes. Les
anciens Grecs, Romains, Perses, Assyriens et
Israélites, par leurs relations commerciales
avec les Arabes, par leurs rapports avec les
contingents que ce peuple a fournis à leur
armées, par les expéditions d'Ælius Gallus et
des Sargonides dans les diverse régions de l'Arabie,
ont été en mesure de savoir s'il existait ou
non des chevaux dans le péninsule Arabique
pendant les derniers siècles qui ont précédé
l'ère chrétienne.
Or la concordance de tous les renseignements que
leurs anciennes litttératurers nous ont laissés
sur la question prouve non seulement que cette
contrée ne possédait pas alors de chevaux, mais
encore que l'usage de ces animaux n'avait même
été adopté que par une partie des peuples
arabes qui vivaient en dehors de la Péninsule
depuis un plus ou moins grand nombre de siècles.
On verra du reste dans le
chapitre X que l'usage du cheval ne pénétra
aussi qu'à une période relativement tardive
chez les Israélites et chez d'autres peuples
sémitiques, notammennt chez les Madianites et
chez les Amalécites.
Quant aux légendes
musulmanes sur la prétenduue antiquité de l'existence
du cheval dans la péninsule Arabique, on a vu
que ce sont des fables ridicules, inventées avec
autant de maladresse que de mauvaise foi; et peut-être
ne sera-t-il pas inutile de faire remarquer ceci:
d'une part, c'est surtout de l'antiquité et de
la multitude des chevaux de l'Yémen que parlent
les légendes musulmanes, et c'est dans l'Hedjaz,
à la Mecque, que ces légendes font vivre
Ismaël (Voyez Noël Desvergers,
Arabie, p 98-99),
le prétendu domesticateur du cheval;
tandis que, d'autre part, c'est précisément sur
l'Yémen et sur l'Hedjaz que nous possédons les
renseignements les plus indéniables constatant l'absence
des chevaux dans ces contrées à l'époque
relativement si récente de l'expédition de
Gallus en Arabie, 24 ans avant l'ère chrétienne.
Enfin, nous ne devons pas
laisser ignorer que, dans le Koran (LXXI,
23) , Mahomet cite Iaouc ( Diverses éditions de
la traduction du Koran de Kasimirski
portent Iaone; c'est une faute d'impression),
ou plus exactement Iaouq, parmi les idoles qui
étaient adorées du temps de Noê.
Ce Iaouq était représenté sous la figure d'un
cheval, d'où Ephrem Houël a conclu que
" Yaouc
était sans doute un fameux cavalier de l'époque
antediluvienne"(Houël, Histoire
du cheval, t.I p.11) |
Si cette conclusion ne
mérite même pas qu'on s'y arrête, il faut
toutefois observer qu'avant Mahomet l'idole Iaouq
était la divinité topique de la tribu de Morad,
ou, selon d'autres, de celle de Hamadan (Voyez
Sale, Observations sur le mahométisme,
dans Les livres sacrés de l'Orient, p.
471).; mais on ignore à
quelle époque ces Arabes ont admis cette idole
dans leur panthéon.
Puisque les Arabes ont eu de très anciennes
relations avec l'Inde, et qu'ils n'ont possédé
le cheval qu'à une époque relativement récente,
il est très probable qu'ils ont emprunté leur
idole Iaouq aux Hindous; car, non seulement les
Hindous avaient dans leur panthéon des
divinités à tête de cheval Dadyanch et les
Kinnaras déjà cités dans le Véda et
dans la Loi de Manou, comme on l'a vu
aux pages 222, 232 et 306, mais encore ils ont
sculpté des divinités à tête de cheval sur
leurs anciens édifices religieux, notamment sur
les portiques de la pagode de Chillambaran ou
Challembrom, qui est situé sur la côte de
Coromandel, à cinquante kilomètres au sud-ouest
de Pondichéry, et qui est l'une des plus
anciennes de l'Inde (Voy. le
contre-amiral Paris, La pagode de
Chillambaran, dans le Tour du monde,
t. XVI, p.36 et 39 )
Les Arabes peuvent même avoir emprunté l'idole
Iaouq longtemps avant de se servir des chevaux,
absolument comme certains peuples adorent depuis
longtemps le Saint-Esprit et Jésus-Christ sous
les figures d'un pigeon et d'un mouton, bien qu'ils
soient encore privés de ces deux espèces
animales. Mais toujours est-il qu'il n'y a rien,
dans l'histoire si obscure de l'idole Iaouq, qui
puisse infirmer les renseignements précédents
sur l'absence du cheval en Arabie dans les
siècles antérieurs à l'ère chrétienne.
Piétrement 1882
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