Les races chevalines et le
transformisme.
Avant d'aborder l'étude des anciens
conflits des hommes et des chevaux, puis celle de
leurs associations et de leurs migrations, il
importe encore d'indiquer le sens précis de
quelques expressions qu'on a déjà rencontrées
et qu'on retrouvera dans les chapitres suivants.
On
a vu que nous attribuons à l'expression races
animales un sens qui ne préjuge en rien la
question de la diversité ou de la communauté d'origine
de l'ensemble des groupes d'individus qui les
composent, et nous devons ajouter de suite qu'il
en est ainsi de l'expression espèces animales
~
Nous
savons que l'homme peut favoriser la formation de
races nouvelles, en accordant une protection et
des soins intelligents à certains sujets, qui
naissent avec des particularités individuelles d'organisation,
en faisant continuellement reproduire ensemble
ceux de leurs descendants héréditairement
doués des mêmes particularités organiques.
En 1879, ayant
eu l'occasion d'annoncer à la Société
d'anthropologie de Paris, à propos de la
discussion sur les Aryas, que l'histoire
de la domestication et des migrations des
animaux soumis à l'homme, surtout celle
des races chevalines, est déjà capable
de jeter quelque lumière sur l'histoire
des anciens peuples, notamment sur celle
des Aryas, nous avions signalé, parmi
les faits déjà acquis à l'histoire des
races chevalines : la découverte d'un
crâne de cheval percheron dans les
sables quaternaires non remaniés de
Grenelle; |
l'identité du
type des chevaux quaternaires de Solutré
avec celui des chevaux de la race belge
actuelle; les représentations graphiques
de sujets appartenant à l'une ou à l'autre
des deux races chevalines asiatiques, l'aryenne
et la mongolique, sur les anciens
monuments de la Grèce, de l'Egypte et de
plusieurs contrées d'Asie; l'allusion
très claire que Strabon a faite à ces
deux races; enfin la découverte en
Suisse, dans des stations de l'âge du
bronze, de trois crânes appartenant à
la race chevaline aryenne. |
Une
voix s'est élevée pour qualifier notre
communication de plaidoyer contre le
transformisme. Mais il fallait avoir oublié tout
un ordre de faits acquis à la science pour
commettre une pareille erreur.
Car tous les
naturalistes savent combien sont
nombreuses les races humaines et les
espèces et races animales de l'antiquité
historique et de l'époque quaternaire
dont les représentants actuels ont
encore le même type; et ils savent aussi
que certaines espèces zoologiques ont
même traversé plusieurs périodes
géologiques sans éprouver aucune
variation appréciable. |
De sorte que si
la persistance de certains types
zoologiques, depuis l'antiquité
historique et même depuis l'époque
quaternaire jusqu'à nos jours, pouvait
être invoquée comme un argument
sérieux contre la doctrine du
transformisme, cette doctrine n'aurait
jamais été acceptée par aucun
naturaliste. |
~
Du
reste, en ce qui concerne les races chevalines, j'ai
expliqué dès l'année 1872, dans un article du Recueil
de médecine vétérinaire, pourquoi leurs
types n'ont pas varié entre les mains de l'homme,
et je n'ai rien à changer dans le passage
suivant, extrait de cet article.
« Les pigeons
étaient déjà domestiqués sous la V°
dynastie égyptienne.......
Pline nous dit dans son Histoire -naturelle,
liv. X, chap. LIII : " Bien des
gens se passionnent même pour ces
oiseaux..... Ils racontent la
généalogie et la noblesse de chacun d'eux
... Varron écrit qu'avant la guerre
civile de Pompée; Axius, chevalier
romain, vendait ses pigeons quatre cents
deniers (360 francs) la paire. »
Et l'on peut voir dans l'ouvrage de
Darwin, De la variation des animaux, t.
I, p. 216-224, que depuis fort longtemps
et dans beaucoup de pays, on s'est
également adonné avec passion à l'élève
des pigeons.
Or si l'on considère que, depuis si
longtemps, ces passionnés éleveurs de
pigeons se sont proposé, non pas
uniquement d'améliorer le type originel
dans un but d'utilité, mais surtout de
modifier les sujets en variant à l'infini
toutes les conditions de leur mode d'existence;
qu'ils se sont constamment appliqués à
conserver et à accroître les moindres
variations qu'ils ont vues se produire
dans ces circonstances; enfin, que la
mode, la fantaisie, le caprice ont seuls
décidé du mérite attribué à ces
oiseaux, qui ont toujours été
recherchés en raison directe de l'excentricité
des particularités qui se sont
manifestées soit dans leur organisation,
soit dans leurs habitudes ; |
si l'on
réfléchit à tout cela, on admettra
sans doute, avec Darwin que les pigeons
se sont trouvés, plus qu'aucun autre
animal domestique, dans des conditions
extrêmement favorables a la modification
des formes ; et l'on s'expliquera
pourquoi, dans le cours des siècles, les
éleveurs de pigeons sont parvenus à
tirer d'une souche unique une aussi
grande variété de races si diverses, si
dissemblables, dont quelques-unes sont si
bizarres, j'allais dire monstrueuses.
« Mais le cheval n'a jamais été soumis,
comme le pigeon, à une culture intensive
ayant pour but de faire naître, de
conserver et d'accroître des formes de
plus en plus divergentes recherchées
avec passion par des amateurs
fantaisistes.
Le cheval est uniquement estimé pour son
utilité; l'homme a simplement cherché
à l'améliorer pour le rendre plus apte
aux genres de services peu variés
auxquels il l'a destiné. C'est pourquoi,
loin de chercher à rendre héréditaires
les singularités de conformation qui ont
pu se montrer chez quelques individus,
les éleveurs de chevaux ont, au
contraire, constamment éloigné de la
reproduction les sujets chez lesquels ils
les ont observées.
Ainsi les pigeons et les chevaux ont
été soumis à des pratiques
zootechniques tout à fait différentes
et dont, par conséquent, les résultats
ne peuvent point avoir été les mêmes.
" |
~
II est vrai que les chevaux de
course anglais sont souvent désignés
sous le nom de race anglaise, dite
de pur-sang dans le jargon du turf,
et qu'on entend tous les jours parler de
la formation récente de cette race.
Mais, dans ce cas, on emploie le
mot race d'une façon aussi impropre que
si l'on donnait au peuple français le
nom de race française.
Car, de même que le
peuple français est composé d'individus
appartenant à diverses races
humaines et surtout de métis de
ces races, la population des
chevaux de course anglais est
composée d'une notable quantité
de sujets appartenant à la race
aryenne, d'un beaucoup plus petit
nombre de sujets appartenant à
la race mongolique, et en immense
majorité de métis de ces deux
races, métis qui, en général,
se rapprochent beaucoup plus du
type aryen que du type mongolique.
|
Enfin, le mot race n'est pas
davantage applicable aux populations
chevalines de la Perse, de la Syrie, de l'Espagne, de la
Navarre, etc., puisque ces populations
ont depuis longtemps la même composition
que la population des chevaux de course
anglais, bien que les proportions du sang
aryen et du sang mongol varient chez ces
diverses populations chevalines.
En d'autres termes, les deux
races chevalines aryenne et mongolique
vivent en promiscuité dans ces contrées
depuis un plus ou moins grand nombre de
siècles, sans que leur croisement ait
nulle part donné naissance à une race
intermédiaire, à une collection d'individus
d'un même type.
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Piétrement
1882
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