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Pendant
toute la durée de l'époque quaternaire, l'homme
était réduit à l'usage des armes en pierre
taillée par éclats, ou en os et en corne
provenant de quelques uns des animaux dont il
faisait sa proie. Etant resté exclusivement
chasseur durant cette longue série de siècles,
il n'a su voir dans les chevaux que des pièces
de gibier qui sont entrées pour une très large
part dans son alimentation.
Puis, en des temps encore préhistoriques, à l'époque
de la pierre polie, diverses races de chevaux ont
été domestiquées dans leurs patrie respectives,
aussi bien en Europe qu'en Asie.
Enfin, après être devenues les compagnons de l'homme,
les chevaux ont été introduits sucessivement
dans certaines contrées qui en étaient
dépourvues, soit avant les temps historiques,
soit à des dates parfaitement historiques qu'il
est possible de déterminer avec assez se
précision.
Le chien, ce premier serviteur qui devint le
véritable ami de l'homme par la générosité de
ses sentiments et par la supériorité de son
intelligence, avait d'abord aidé son maître
dans la capture du gibier; il avait ensuite
assuré la paisible possession des troupeaux en
les défendant contre leurs ennemis naturels ; il
avait ainsi contribué à rendre sa vie moins
précaire ; il lui avait procuré des loisirs
indispensables pour faire de grands progrès dans
la voie de la civilisation.
C'est
pourquoi le chien est toujors resté en si haute
estime chez les nations les plus douées , bien
que l'importance de ses services soit allée en
diminuant chez les peuples civilisés, à
mesure que la destruction ou l'éloignement des
animaux carnassiers a donné plus de sécurité
à l'homme et à ses troupeaux.
L'asservissement et le dressage du cheval ont
fait entrer l'homme dans une nouvelle ère de
prospérité, en le dotant du plus précieux et
du plus cosmopolite des moteurs animés.
Les chevaux ont en cette qualité joué un grand
rôle dans les combats livrés par leurs maïtres
pour la possession du globe ; ils ont contribué
à leurs conquêtes ; ils ont traîné les chars
et constitué la meilleure monture des peuples
guerriers et migrateurs.
L'histoire des chasses de chevaux sauvages par
les hommes quaternaires , celle de la
domestication des diverses races chevalines sur
différens points de l'Europe et de l'Asie, ainsi
que celle de leurs migrations sur le reste de la
surface de la terre , ont enfin pu être
abordées , grâce aux récents progrès de la
zoologie, de l'archéologie , de la philologie et
de l'étude des littératures anciennes. C'est le
sujet que j'ai essayé de traiter dans ce livre,
parce que j'y ai vu une annexe, un nouveau cha
pitre de l'histoire de l'homme, tout aussi
intéressant et aussi fécond en enseignements
que les histoires, soit de l'habitation, soit des
armes, etc..., qui ont déjà jeté tant de
lumière sur les divers états de l'humanité
dans la série des âges, depuis qu'elles ont
été traitées d'une façon véritablement
scientifique.
Le présent ouvrage ne ressemble nullement à mes
Origines du cheval domestique,
rédigées en Algérie et publiées en 1870. Les
deux livres diffèrent plus encore par le plan,
par le fond, par la nature des sujets traités,
que par le titre ;
ils n'ont presqe rien de commun que le chapitre
relatif à l'histoire du cheval chez les Hébreux,
que j'ai reproduit avec quelques additions, parce
qu'il avait sa place marquée dans le plan du
nouvel ouvrage.
Il était d'ailleurs impossible d'aborder l'histoire
de la domestication et des migrations des
diverses races chevalines à l'époque de la
rédaction de mes Origines du cheval
domestique ; car la description des
caractères différentiels, typiques, de nos
espèces et races domestiques n'a été publiée
que postérieurement, par mon savant ami M.
le professeur André Sanson;
et la connaissance de ces caractères
différentiels m'a seule permis d'apprécier à
leur juste valeur les nombreux documents
recueillis depuis 1870 dans les bibliothèques et
les musées de Paris, ainsi que les précieux
renseignements oraux, dus à l'obligeance de
plusieurs savants spécialistes et voyageurs,
dont on trouvera les noms dans ce volume, et
auxquels je ne saurais trop témoigner ma
profonde reconnaissance.
Le lecteur qui voudrra bien me suivre jusqu'au
bout ne manquera pas de s'apercevoir qu'il
fallait en effet une connaissance exacte des
caractères typiques des diverses races
chevalines, pour découvrir le vrai sens
historique de certains mythes, pour apprécier
toute la portée de certaines traditions et de
quelques anciens textes jusqu'alors restés
letttre morte, enfin pour tirer parti des
représentations graphiques de chevaux qu'on
rencontre sur les anciens monuments de l'Inde, de
la Perse, de l'Assyrie, de l'Egypte, de la Grèce
et de l'Italie.
Il fallait également connaître les caractères
différentiels des diverses race asines, bovines,
ovines et caprines, pour montrer que la faune
domestique de l'Egypte était déjà composée de
races africaines et de races asiatiques, dès le
temps les plus reculés auxquels nous fassent
remonter les anciens monuments de la vallée du
Nil. Or c'est là un témoignage matériel,
irrécusable, d'une très antique immigration d'Asiatiques
dans cette contrée : ce qui confirme l'opinion
fondée sur des documents d'un autre ordre, et
suivant laquelle les anciens Egyptiens étaient
un peuple de race nubienne ou barabra, parlant un
dialecte en grande partie sémitique.
Si je ne me suis pas trompé dans mes déductions,
je n'aurai pas dit le dernier mot sur l'histoire
des chevaux considérée dans ses rapports avec
le développement des civilisations et avec la
migration des peuples; car il n'y a point de
dernier mot dans la science, dont le propre est d'être
indéfiniment progressive; mais j'aurai ouvert
une voie nouvelle, en composant le premier essai
scientifique sur un sujet qui n'avait pas été
abordé.
Si au contraire mon sens critique n'avait pas
été à la hauteur de ma tâche, j'aurais du
moins réuni en faisceau un nombre considérable
de faits, empruntés à toutes les branches de la
science qui peuvent fournir des documents sur les
questions que j'avais entrepris de résoudre; et
un auteur plus habile, d'un esprit plus
pénétrant, pourrait en tirer un meilleur parti,
sans être obligé de consacrer un temps
précieux à la recherche toujours longue d'un
aussi grand nombre de documents, dont la
vérification exigera nécessairement moins de
temps que leur découverte.
J'espère donc que, de l'une ou l'autre façon,
mon travail sera de quelque utilité pour l'avancement
de la science. "
Octobre 1882
Piétrement
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