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L'histoire
du cheval chez les Chinois et la première patrie
des Mongols. (chapV§2) (suite) p340
Il
fallait évidemment que les chevaux ne fussent
pas très rares en Chine dès le XIIe siècle
avant notre ère, pour qu'on ait assigné sept
chars, c'est à dire cent douze chevaux,
au service du prince rebelle Tsaï-chou,
dont l'un des complices avait été condamné à
mort et qui était lui-même interné à Ko-lin.
Ce fait et tous les documents rapportés plus
haut démontrent péremptoirement que, dès la
haute antiquité, les chevaux étaient déjà
assez nombreux en Chine, du moins dans les
provinces septentrionales, les seules qui fissent
alors partie de l'empire, puisque les contrées
situées au sud du Kiang (le fleuve des fleuves)
ne furent conquises que vers la fin du IIIe
siècle avant Jésus-Christ, sous le règne de
Thsinchi-hoang-ti, de la IVe dynastie, dite de
Thsin.
Ce sont donc seulement les beaux chevaux qui
étaient rares dans l'empire chinois, alors comme
aujourd'hui;
car le chevaux nés et élevés dans les
provinces septentrionales de ce pays ont toujours
été petits et laids.
Quant aux provinces méridionales, elles ont
toujours été tellement impropres à l'élève
des chevaux que, même aujourd'hui, les
particuliers n'en nourrissent aucun, ni pour les
travaux de la campagne, ni pour les voyages;
et que ceux qui y sont importés de Tartarie,
pour le service des relais du gouvernement, y
perdent leur vigueur en quelques années et
finissent bientôt par être tout à fait hors de
service.
Et la dégénérescence des chevaux en Chine
provient uniquement des conditions climatiques de
ce pays, car on sait combien les Chinois sont
habiles dans l'art d'élever et de soigner les
animaux.
Aussi, quoique les chevaux aient été assez
nombreux en Chine depuis la haute antiquité, les
conditions de vie si défavorables qu'ils y
trouvent, même dans le nord, suffiraient seules
pour justifier cette autre opinion de Pauthier
qui considère les chevaux chinois comme
originaires de Tartarie, opinion qui est d'ailleurs
en parfaite concordance avec ce passage du Chou-king;
"
La victoire remportée sur le roi de
Chang (Cheou-sin) procura une libre
communication avec le neuf Y et le huit
Man;
et les gens de Lou, pays d'Occident,
vinrent offrir un grand chien (gao).
A cette occasion, le Taï-po fit ce
chapitre Lou-gao pour instruire le roi (
le fait se passe sous le règne de Vou-vang,
dans la seconde moitié du XIIe siècle
avant Jésus-Christ, Tchao-kong étant
Taï-pao).
Il dit: " Lorsqu'un roi est
éclairé et qu'il aime véritablement la
vertu, tous les étrangers, voisins et
éloignés, viennent se soumettre et lui
offrir des productions de leur pays;
mais ces présents ne doivent être que
des vêtements, des vivres et des meubles
utiles...... ne pas pratiquer ce qui est
sans utilité, ne pas nuire à ce qui a
de l'utilité, est une chose digne d'éloge.
Quand on ne recherche pas les choses
rares, et quand on ne méprise pas les
choses utiles, le peuple a le nécessaire.
Un chien, un cheval, sont des
animaux que notre pays ne produit pas; il
n'en faut pas nourrir." (Chou-king, 1, IV, ch.v,
§1,2,8.) |
Pauthier (Chine
p 84) donne cette traduction littérale de la
dernière phrase de ce passage:
"
Un chien, un cheval, sont des
animaux étrangers à votre pays;
il n'en faut pas nourrir." |
Et il ajoute en
note:
"On
trouve cependant dans les caractères
primitifs de l'écriture chinoise le
signe du chien et du cheval.
Comme l'écriture fut primitivement
inventée et employée à la cour des
empereurs chinois, il est probable que l'usage
du chien et du cheval, quoique d'origine
étrangère, y était connu depuis
longtemps." Pauthier |
Ainsi, d'une
part, un Taï-pao affirme sous le règne de Vou-vang,
au XIIe siècle avant Jésus-Christ, que le
cheval est un animal étranger à la Chine et par
conséquent qu'il y a été introduit du dehors.
Et l'on ne saurait révoquer en doute cette
assertion du Taï-pao, qui était le second
personnage de l'empire, [....] car de si hautes
fonctions n'étaient données en Chine, surtout
à ces époques éloignées, qu'à un lettré par
excellence, à un homme profondément versé dans
la connaissance de l'antiquité. Toute l'histoire
de la Chine en fait foi;
D'autre part, la présence du signe du cheval
dans les caractères primitifs de l'écriture
chinoise, -caractères qui étaient de
véritables hiéroglyphes, de véritables
représentations de certains objets animés ou
inanimés (Voy.
Pauthier et
Bazin, Chine moderne, p.278-344), et dont l'invention
remonte à Se-hoang du 9e ki,- ce signe du cheval,
disons-nous, prouve que, dès les temps proto-historiques,
les Chinois ont parfaitement connu cet animal,
sinon son usage, comme Pauthier vient de l'admettre.
Au premier abord, ces deux données historiques
semblent contradictoires, mais une étude
attentive de certains documents chinois en
fournit une explication des plus satisfaisantes,
"Un
fait qu'il est bon de remarquer, dit
Pauthier, c'est que les historiens
chinois font venir plusieurs inventeurs
des arts et des sciences, sous le premier
empereur historique (Hoang-ti), des pays
situés à l'occident de la Chine, près
du mont Kouen-lûn, que les Indiens
nomment Mérou, dans les flancs duquel le
grand fleuve Hoang-ho prend sa source;
ce qui donnerait à cette partie du
Thibet une antériorité de civilisation
sur la Chine elle-même;
supposition assez naturelle si l'on
réfléchit que, à mesure que des
contrées devinrent habitables par la
formation des lits de fleuves ou de
rivières, les premières peuplades
durent suivre le cours de ces mêmes
fleuves, et se répandre, comme eux, dans
différentes directions, mais toujours en
partant des lieux hauts pour arriver dans
les lieux bas.
Ce qui confirme cette supposition, c'est
que la cour des premiers empereurs
chinois était placée dans les provinces
occidentales voisines des montagnes du
Thibet." (Pauthier, Chine. p.29-30) |
Piétrement
1882
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Il est même tout naturel que les Chinois
contemporains de Hoang-ti aient conservé des
relations avec les populations déjà
industrieuses des contrées adjacentes à ce qu'ils
appelaient le Kouen-lûn, car une foule de
documents se réunissent pour démontrer que les
Chinois ont originairement habité ces parages,
que leur civilisation a commencé de prendre son
essor en ces lieux, et que c'est de là qu'ils
sont partis pour conquérir la Chine
antérieurement au règne de ce roi.
En effet, Pauthier fait observer que
"
la population de l'empire chinois était
composée primitivement de cent
familles qui vinrent du nord-ouest."
(Chine, p.39). |
[....] Enfin,
il ajoute plus loin:
"
Tout ce qui peut contribuer à former une
conviction historique sur les données
traditionnelles confuses nous confirme
dans l'opinion que les Chinois
actuels ne sont pas indigènes sur le sol
de la Chine, qu'ils y sont
arrivés du nord-ouest, et qu'ils ont
été obligés d'en chasser, pour y
trouver place, des peuplades moins
civilisées ou plus barbares qu'eux,
appartenant à une race distincte....
Ce sont les sauvages habitants indigènes,
nommés par les Chinois Y, porteurs
de grands arcs, Miao-tseu, fils des
champs incultes, qui existent encore
à l'état sauvage, dans les hautes et
inaccessibles montagnes de l'occident de
la Chine, voisines du Thibet." (Chine, p.56) |
Ces remarques
de Pauthier sont en parfait accord avec celles du
Père Prémare sur le lieu de naissance de Fo-hi
et sur les endroits où furent enterrés ce roi
et ses prédécesseurs anté-historiques:
[....]
La concordance de tous les documents prouve donc
véritablement que les Chinois n'étaient pas
indigènes en Chine; qu'ils y vinrent des
contrées du nord-ouest, situées dans la partie
de l'Asie Centrale à laquelle ils donnaient le
nom de Kouen-lûn;
qu'ils ont même habité cette région jusqu'au
règne de Fo-hi inclusivement; enfin que c'est
là, par conséquent, qu'ils ont acquis le degré
de civilisation auquel ils étaient déjà
parvenus sous les règnes de ce roi et de ses
prédécesseurs, et qu'ils ont notamment inventé
les caractères primitifs de leur écriture
figurative.
Ce serait
toutefois une profonde erreur de croire que les
Proto-Chinois ont à l'origine habité les
montagnes que nous appellons actuellement Kouen-lûn.
Bien que leurs larges vallées et leurs hauts
plateaux rocheux nourrissent encore présentement
à l'état libre toutes les espèces animales que
ce peuple a primitivement utilisées, bien que
les grands mammifères s'y rencontrent encore en
grands troupeaux jusqu'à une altitude de plus de
6000 mêtres, ces monts devaient être, alors
comme aujourd'hui, déjà inhabitables pour l'homme
vivant en société.
D'ailleurs, notre Kouen-lûn eût-il alors été
habitable pour l'homme, que la tradition
précitée s'opposerait formellement à ce qu'on
en fit le séjour des Proto-Chinois;
car cette tradition, qui fait venir ce peuple des
contrées situées au nord-ouest de la Chine,
remonte à l'époque où cet empire ne s'étendait
que du fleuve Kiang aux frontières
septentrionales de la Chine actuelle, c'est à-dire
du 30e au 40e degré de latitude nord;
et, comme les montagnes auxquelles nous donnons
nom de Kouen-lûn sont situées sous le 37e
degré de latitude, elles se trouvent directement
à l'ouest de l'ancien empire chinois et non au
nord-ouest, ainsi que l'exige la tradition.(Sur
la situation, la topographie et la faune des
monts que les Européens appellent Kouen-lûn,
consultez Exploration
de la Haute-Asie de 1854 à1857, par les
frères Schlagintweit, dans le Tour du Monde, t.XIV, 1866, p193 à
208.)
Mais il faut remarquer que les anciens Chinois
étaient loin d'attribuer à l'expression de monts
Kouen-lûn l'acception restreinte que nous
lui avons affectée.
Pauthier a déjà dit que sous le
règne de Yang-ti (605-617 de notre ère), dont
la domination s'étendait sur les pays
occidentaux jusqu'à la mer Caspienne,
"on
dressa une carte représentant les
quarante-quatre principautés qui y
existaient, réparties dans les trois
grandes divisions naturelles.
Cette carte commençait à la montagne Si-khing,
située vers le lieu où le Hoang-ho ou
Fleuve jaune entre en Chine, et s'étendait
jusqu'à la mer Caspienne.
Au milieu de cette carte, on voyait les
hautes montagnes du Thibet septentrional,
appelées par les Chinois du nom
collectif de Kouen-lûn." (Chine, p 281.) |
Il faut donc
voir dans le Kouen-lûn des anciens Chinois l'ensemble
du vaste réseau montagneux qui couvre l'Asie
Centrale, qui renferme les vallées et les
plateaux les plus élevés de la terre, enfin qui
constitue tout l'immense système orographique
des flancs duquel sortent tous les grands fleuves
du continent asiatique, à l'exception du Tigre
et de l'Euphrate; et il ne reste plus, par
conséquent, qu'à déterminer quelle est, dans
ces hautes régions, la partie qui satisfait le
mieux aux données de la tradition chinoise.
Piétrement
1882
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haut
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portrait de Gengis
khan
(wiki.commons)
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Puisque l'ancien empire chinois s'étendait
déjà, comme aujourd'hui, au nord jusque vers le
40e degré de latitude, et à l'ouest jusque vers
le 100e degré de longitude orientale, le premier
séjour connu des Chinois doit être cherché
dans un pays habitable, situé à quelques
degrés plus au nord et plus à l'ouest, et assez
étendu pour contenir au moins cent familles
ou tribus.
Or si, partant des frontières nord-ouest de la
Chine, on se dirige au nord-ouest, suivant l'indication
de la tradition chinoise, on trouve d'abord le
grand désert de Gobi, que les Chinois nomment Cha-mo
ou Mer de sable, puis la chaîne aride,
neigeuse et volcanique du Bogda-Oola, ou partie
orientale des Monts-Célestes, dont le nom est
écrit à l'anglaise, Thian-chan, sur
nos cartes, car les indigènes le prononcent Sian-chan.
Toutes ces régions sont inhabitables.
Mais plus loin, au nord du Bogda-Oola, qui est
situé sous le 43e degré de latitude, on
rencontre un vaste haut-plateau qui s'ouvre au
sud-est sur le désert de Gobi et qui s'étend au
nord jusqu'au 50e degré de latitude, c'est à
dire jusqu'au pied de l'Altaï septentrional,
petit Altaï, ou chaîne de Tangnou.
Ce haut plateau, qui fait partie du grand massif
orographique de l'Asie Centrale, mesure de 14 à
20 degrés de longitude, depuis la chaîne du
Kourou, qui le borne à l'est vers le 97e degré
de longitude et sur les pentes orientales duquel
la Sélinga prend naissance, jusqu'à la chaîne
du Barlouck ou Alatau qui lui forme à l'ouest
une barrière courant obliquement du nord au sud
depuis le 83e degré jusqu'au 77e degré de
longitude orientale.
Cet espace trapézoïde, dont la superficie
égale celle de la France, est suffisamment connu
pour la solution du problème qui nous occupe,
depuis que l'intrépide voyageur Atkinson l'a
parcouru dans tous les sens vers la fin de son
long voyage en Sibérie et dans l'Asie centrale. (Voyez, Voyage sur les
frontières russo-chinoises et dans les steppes
de l'Asie centrale, par Thomas-Witlam Atkinson (1848-1854); dans le Tour du Monde, t.VII p 337 à 384)
Au pied du versant septentrional du Bogda-Oola
règne d'abord une bande sablonneuse qui est l'une
des ramifications occidentales du Cha-mo. Puis,
au nord de cette zone complètement aride, on
trouve, depuis le 45e jusqu'au 50e degré de
latitude, de vastes plaines onduleuses,
parsemées de lacs, de montagnes isolées, de
steppes et d'innombrables pâturages.
Ce pays est d'ailleurs arrosé par de nombreuses
rivières, dont les deux plus considérables, la
Tess et le Djabakan, sont comparables à la Seine;
elles vont se perdre, la première dans l'Oubsa-Noor,
et le second dans l'Ilka-Noo, qui sont les plus
importants de tous les lacs sans issue de cette
haute région.
Enfin, parmi les montagnes éparses sur ce
plateau, on remarque une série de hauteurs qui
sont échelonnées du nord au sud, depuis les
environs du lac Ilka-Aral jusqu'au désert de
Gobi, et qui sont les seuls vestiges de la
prétendue chaîne de l'Altaï méridional ou
grand Altaï, laquelle n'existe en réalité que
sur nos cartes, comme Atkinson l'a parfaitement
vérifié.(Voyez
le Tour
du Monde, tVII, 1863, p350-352 )
Cettre contrée, éminemment propre à la vie
pastorale, est encore actuellement parcourue à l'ouest
par les Kirghises et à l'est par les Kalkas, qui,
les uns et les autres, y font paître leurs
innombrables troupeaux de chevaux, de chameaux,
de boeufs, de chèvres et de brebis.
Depuis Atkinson, M. et Mme de Bourboulon ont
également visité la Mongolie,
dont le pays en question est l'une des régions;
et voici ce que A. Poussielgue dit de la Mongolie
et du pays des Kalkas, d'après les notes de ces
deux voyageurs:
"Cette
immense contrée (la Mongolie) qui occupe
une partie du plateau central de l'Asie,
peut se diviser en deux zones, séparées
par les destinées politiques comme par
le sol et les productions.
La zone du sud, aride ou du moins
dénuée d'eau et de végétation, n'est
habitée que sur la frontière de la
Chine, par de nombreuses peuplades d'origine
mongole, directement tributaires de l'empire
chinois.
La zone du nord, entièrement occupée
par les tribus khalkhas, jouit d'une
abondance et d'une fertilité
extraordinaires: hautes montagnes, grands
lacs, fleuves puissants, forêts et
pâturages admirables, mines de houille,
d'argent et de cuivre, toutes les
richesses naturelles sont accumulées
dans ce beau pays, qui a l'avantage d'être
situé en plein climat tempéré (Il
serait plus vrai de dire climat extrême,
à températures minima et maxima
très différentes), sous un ciel plus
clément que celui de la Sibérie, sur
laquelle il l'emporte sous tous les
rapports" (Relation de
voyage de Shang-haî à Moscou, par
Pékin, la Mongolie et la Russie
asiatique, rédigée d'après
les notes de M. et Mme de Bourboulon, par
M. A. Poussielgue, dans le Tour du
Monde,t.XI, 1865, p 242) |
On sait
d'ailleurs que ce pays des Kalkas est la patrie
de Genghiskhan (Tching-kis-khan),
et que c'est de là que sont parties les hordes
sauvages qui bouleversèrent à tant de reprises
les couches sociales du vieux monde
Piétrement
1882
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Cette circonscription géographique, qui
satisfait ainsi, sous tous les rapports, aux
données de la tradition chinoise, est même la
seule qui y satisfasse complètement.
Car au delà, en suivant la même direction, on
tombe successivement dans les sauvages montagnes
du petit Altaï et du Sayansk, puis, à l'ouest
du lac Baïkal, dans les steppes de la Sibérie
qui sont situées en dehors du massif
orographique de l'Asie centrale.
C'est donc évidemment du pays compris entre le
Bogda-Oola et l'Altaï septentrional ou Tangnou,
c'est à dire du pays des Khalkas, que sont
parties les cent familles ou tribus qui
conquirent la Chine dans les temps proto-historiques;
c'est
là la première patrie des Proto-Chinois,
dans laquelle ils ont domestiqué
le cheval à l'époque de Fo-hi,
|
et adopté le
signe de cet animal dans leur écriture
figurative, soit à la même époque, soit à une
date antérieure, comme on l'a vu [...].
Le dernier fait n'aurait du reste rien de
surprenant, puisque les anciens troglodytes du
Périgord ont su dessiner le cheval sans le
domestiquer.
Il faut toutefois observer que Pauthier (Chine, p.24) dit de Fo-hi:
"Le
lieu de sa naissance et de sa cour est
placé dans le Ho-nan." |
Mais, quelle
que soit la tradition à laquelle Pauthier fait
allusion en cette circonstance, elle est en
contradiction formelle avec toute l'histoire
chinoise.
Le Ho-nan est en effet situé dans la partie
orientale de la Chine centrale, et le Père
Prémare vient de citer des documents qui font
naître et mourir Fo-hi en Occident.
Cette dernière assertion de Pauthier est même
tout à fait incompatible avec les nombreux
passages de son livre où il montre que, sous les
premières dynasties historiques, les Chinois
venus du nord-ouest avaient encore la capitale de
leur empire dans les provinces occidentales de la
Chine actuelle;
elle est notamment inconciliable avec ces
renseignements si explicites:
"En
770 (avant J.C) , Ping-wang (le roi
pacifique), fils de Yeou-wang, est
proclamé roi par les grands vassaux qui
avaient repousssé les Tartares.
Il transporta sa cour dans la ville
bâtie par Tcheou-kong, située dans le
province du Ho-nan, et qui était
appelée cour orientale .
Cette cour orientale était la
ville de Lo-ye, bâtie seulement
en l'an 1108 avant Jésus-Christ, sur la
rivière de Lo, par Tcheou-kong, qui en
fit sa résidence et la capitale de sa
principauté ou royaume de Ho-nan, après
avoir remis entre les mains de son neveu
Tching-vang les rênes de l'empire qu'il
avait administré pendant les sept
années de la minorité de ce prince, (Voyez Pauthier (Chine,
p
84); et le Chou-king, liv IV, chap.
IX §1; chap.XII, §1-5; chapXIII, §1-3.), et laissa la cour
occidentale ou l'ancien séjour des
premières dynasties dans le Chen-si, au
prince de Thsin, qui fut élevé
au rang de roi suzerain, afin qu'il
devînt une barrière puissante contre
les irruptions continuelles des Tartares
limitrophes....
Les grandes familles, accoutumées au
séjour de la cour dans le Chen-si, ne
voulurent pas, pour la plupart, se rendre
à la cour orientale. La famille royale
dynastique perdit presque entièrement
son autorité et sa puissance. Plusieurs
rois vassaux se rendirent complètement
indépendants et agrandirent même leurs
Etats." (Ibid., p 106,107) |
Enfin, dans les
sommaires des chapitres du Chou-king traduit par
le Père Gaubil et revu par Pauthier, nous lisons
également en tête du chapitre intitulé Thsin-tchi,
qui est le chapitre XXX
et dernier du livre IV
et dernier de cet ouvrage:
"Le
titre de Thsin-tchi signifie
ordre ou défense du prince de
Thsin, pays situé dans le Chen-si....
vers l'an 770 avant J.-C., un des
descendants de Fei-tsou, nommé Siang-kong....
fut fait prince de Thsin, pays où avait
été la cour des rois de Chine jusqu'à
Ping-vang." |
C'est
donc très probablement par inadvertance que,
dans son remarquable ouvrage, Pauthier a cité,
sans la réfuter, l'opinion des auteurs qui
placent la naisssance et la cour de Fo-hi dans le
Ho-nan, opinion qu'il a sans doute rencontrée
dans ceux des écrivains chinois qui ne font
commencer l'histoire de la Chine qu'au règne de
ce roi, parce qu'ils considèrent les temps qui
lui sont antérieurs comme trop douteux et qu'ils
ont trouvé plus court de les supprimer que de
les étudier.
Piétrement
1882
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haut
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D'ailleurs, puisque le cheval est sûrement un
animal étranger à la Chine et que, de l'avis
unanime de tous les historiens chinois, c'est Fo-hi
qui a le premier montré au peuple à s'en servir,
si cet empereur était vraiment né dans le Ho-nan,
il faudrait supposer que les Chinois, qui avaient
connu le cheval dans l'Asie centrale d'une façon
assez intime pour adopter son signe dans leurs
caractères hiéroglyphiques, et qui étaient
déjà assez civilisés pour le dompter, seraient
néanmoins partis de cette région sans emmener
ce précieux auxiliaire et auraient attendu d'être
arrivés en Chine pour l'y faire venir du dehors:
supposition dont l'invraisemblance est une
nouvelle preuve que Fo-hi a véritablement vécu
dans l'Asie centrale et non dans le Ho-nan.
Quant à l'époque de l'introduction du cheval en
Chine, il est possible de lui assigner une date
minimum assez approximative.
En effet, puisque les Proto-Chinois ont possédé
cet animal dès l'époque de leur séjour dans l'Asie
centrale sous le règne de Fo-hi, ils l'ont
évidemment emmené dans leurs migrations;
et si l'on considère que Fo-hi (3468) habitait
encore ce pays, mais que l'empire de Hoang-ti (2698)
s'étendait déjà au sud jusqu'au fleuve Kiang
et à l'est jusqu'à la mer, on devra en conclure
que c'est entre l'an 3468 et l'an 2698 avant
notre ère que les Chinois se sont installés en
Chine avec leurs chevaux, si l'on suit la
chronologie courante.
Un autre document chinois nous donne une date
plus précise;
car, en racontant la victoire remportée par l'empereur
Kien-loung ou Khian-loung en l'an 1775 de notre
ère, sur le Miao-tseu alors réfugié dans les
hautes et inaccessibles montagnes de l'occident
de la Chine, où il n'en reste plus aujourd'hui
que quelques débris, les historiens chinois
considèrent cet évènement comme ayant amené
la réduction définitive de ces sauvages
indigènes, après des luttes sanglantes qu'ils
disent s'être renouvelées pendant 5000 ans (Voyez Pauthier, Chine, p 56 et 454), ce qui reporterait à
l'an 3225 avant Jésus-Christ l'arrivée des
Chinois sur le territoire qu'ils occupent aujourd'hui.
Bien que cette date soit seulement approximative
puisqu'elle est basée sur l'énoncé en nombre
rond d'une période de 5000 ans, elle est en
parfaite concordance avec tout ce que l'on sait
sur l'évolution de la civilisation chez les
Chinois.
Elle ne les fait effectivement entrer sur le
territoire de la Chine actuelle que quelques
années avant l'avènement de Chin-nong.
On conçoit alors qu'ils aient dû conserver
jusque là dans l'Asie centrale des habitudes
nomades analogues à celles de leurs congénères
de race mongolique qui parcourent encore cette
région, et qu'ils n'aient en conséquence pu s'y
élever qu'au degré de civilisation que comporte
ce genre de vie et qui est justement celui auquel
ils étaient parvenus sous Fo-hi.
On s'explique également que, après leur
installation en Chine, ils aient dû adopter des
habitudes plus stables dans ce pays fertile, et y
acquérir d'autres connaissances scientifiques et
industrielles qui sont l'apanage des peuples
sédentaires, et qu'ils font précisément
remonter à l'époque de Chin-nong.
Il faut toutefois observer que si Chin-nong et
ses successeurs furent déjà maîtres d'une
partie des riches provinces de la Chine actuelle,
ils n'en conservèrent pas moins, ou tout au
moins recouvrèrent bientôt la possession de
leur patrie primitive;
et que quelques-uns de ces empereurs
préfèrèrent même habiter cet ancien berceau
de leur race, comme notre Charlemagne affectionna
le séjour de la Germanie, plusieurs siècles
après l'installation de nos rois germains au
centre de la Gaule.
Ainsi, le dernier roi légitime de la famille de
Chin-nong, Yue-vang, tenait encore sa cour dans
le Kong-sang quand il fut détrôné par son
parent le prince rebelle Tchi-yeou, gouverneur d'une
province située au pied du Kouen-lûn, et qui
fut à son tour vaincu par Hoang-ti, qui était
alors gouverneur du Ho-nan.
Or le vaste pays de Kong-sang, au nord duquel
régnait déjà Hien-yuen, l'inventeur de la
monnaie de cuivre, est aussi nommé le vaste
désert de Sang, expression qui paraît
désigner les contrées arides situées au delà
des frontières nord-ouest de la Chine actuelle.Piétrement
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cheval de jade,
Chine dynastie Han,
(ph. Tout l'Univers 1978, le livre de Paris Ed.)
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Les Proto-Chinois ayant contracté la passion du
cheval dans l'Asie centrale, leurs descendants l'ont
conservée en Chine, quoique le climat de cette
dernière contrée les ait constamment mis dans l'impossibilité
d'y élever de beaux chevaux.
Cest ce qui explique les folies que les empereurs
ont souvent faites pour s'en procurer, surtout
lorsque le luxe eut atteint chez eux des
proportions colossales.
Et comme en Chine, suivant la remarque de
Pauthier, la cour donne le ton à tout l'empire,
ces folies furent imitées par toute la nation
des employés du gouvernement, au grand
préjudice de la fortune publique.
Aussi les grands dignitaires, dont l'une des
attributions était de veiller à la prospérité
des affaires de l'Etat, firent-ils souvent aux
empereurs de sévères remontrances sur les abus
de leur luxe effréné qui épuisait le peuple;
et nous avons même vu Tchao-kong essayer de
couper l'une des causes du mal à sa racine, en
conseillant d'abandonner complètement l'usage du
cheval.
Il invoquait des raisons analogues à celles qui
engagèrent Moïse à défendre l'usage de cet
animal à son peuple; mais les conseils du Taï-pao
ne furent pas mieux suivis par les empereurs
chinois que les prescriptions du législateur des
Hébreux ne furent respectées par Salomon et ses
successeurs (voyez plus loin, chap X.).
Car dès le temps de Confucius, au commencement
du Ve siècle avant notre ère, on voit déjà
dix mille chars armés sous le commandement de
deux des Taï-fou du roi de Lou, Ting-kong,
descendant du grand Tcheou-kong; et, à la suite
d'une guerre contre les gouverneurs rebelles des
provinces, l'empereur Te-tsong (779-805 après
Jésus-Christ) fut obligé d'acheter 180 000
chevaux chez les Ouïgours pour remonter la
cavalerie chinoise. (Pauthier, Chine, p 153, 320)
Enfin après avoir parcouru pendant huit ans
toutes les provinces de la Chine, après avoir
séjourné pendant vingt-neuf autres années à
la cour des empereurs, le Père Gabriel de
Magalhan,
qui mourut à Péking en 1677, a écrit que
"
le nombre des soldats qui gardent la
grande muraille est de 902 054. Les
troupes auxiliaires qui y accourent,
quand les Tartares se mettent en devoir d'entrer
en Chine, sont innombrables, et il y a
389 167 chevaux destinés pour les
troupes....
Les chevaux que l'empereur entretient
tant pour les troupes que dans les postes
se montent à 564 900. Ces soldats et ces
chevaux sont toujours entretenus." (Gabriel de
Magalhan, Nouvelle relation de la
Chine, etc. , traduction française,
Paris 1688, in 4°; cité par Pauthier, Chine, p 429-423.) |
Isolés et tels
qu'ils viennent d'être exposés en les prenant
à la lettre, les documents relatifs à Fo-hi
sont déjà très intéresants au point de vue de
l'origine de la civilisation des Chinois; mais
ils acquièrent une bien autre importance si l'on
considère que
"
une tradition, encore aujourd'hui
courante parmi les Turcs nomades, place
le berceau de leur race un peu au nord du
plateau de Pamir, dans une des vallées
de l'Altaï" (Maspéro, Hist.
anc., p135.) ; |
et,
d'après un renseignement oral de M.Maspéro,
cette tradition existe notamment chez les tribus
des Khirghises-Kazaks, qui s'étendent depuis l'Alatau
jusqu'aux monts Ourals.
Une si
complète concordance entre les
traditions de deux rameaux mongoliques, l'un
oriental, celui des Chinois, l'autre
occidental, celui des Khirghises de l'Oural,
ne laisse plus aucun doute sur la
première patrie des peuples mongoliques,
sur la région où naquit leur
civilisation; c'est évidemment le
versant sud de l'Altaï, le pays des
Kalkas qui a été décrit plus haut. |
Il ne faut d'ailleurs point prendre à la lettre
les expressions règne de Fo-hi et règne
de Chin-nong; car Chin-nong, dont le nom
signififie le divin laboureur (Prémare, Recherches, p.37) et auquel on attribue
140 ans de règne, est évidemment la
personnification d'une période historique
caractérisée par l'invention de l'agriculture:
période purement chinoise, puisqu'on a vu que ce
prétendu roi est postérieur à l'arrivée des
Chinois en Chine.
Quant au nom de Fo-hi, il signifie "qui
soumet la victime".(Prémare, Recherches, p 32 ) expression que rendra
plus claire la phrase suivante du Lou-se
de Lo-pi, traduite par le Père Prémare dans ses Recherches, p.33:
"Fo-hi
apprit au peuple à élever les six
animaux domestiques, non seulement pour
avoir de quoi se nourrir, mais aussi pour
servir de victimes dans les sacrifices qu'il
offrait au maître du monde Chin-ki." |
Il est clair, d'après
cela, que sous le nom de Fo-hi, qui est censé
avoir régné 250 ans, les Chinois ont
personnifié la période proto-historique pendant
laquelle ils ont assujetti les animaux
domestiques, période qui appartient à l'époque
de l'unité mongolique, puisqu'on a vu que ce
prétendu roi régnait, non pas en Chine, mais
dans le première patrie des peuples mongoliques,
occupée aujourd'hui par les Kalkas.
Ce ne
sont donc pas les Chinois, ce sont les
Proto-Mongols, dont les cent
familles chinoises
étaient une simple fraction, qui ont
domestiqué les chevaux dans leur
première patrie, comme les Aryas l'ont
fait dans la leur; et, chez les uns comme
chez les autres, les traditions indiquent
que l'assujettissement des animaux
domestiques, même celui du cheval, a
précédé l'invention de l'agriculture. |
D'après ce qui
a été dit de l'époque de Fo-hi ,
cette domestication du cheval par les
Mongols peut être placée soit trente et
quelques siècles, soit cinquante à soixante
siècles avant notre ère, et nous
répétons que le dernier chiffre nous paraît le
plus probable.
On a d'ailleurs vu que les
Mongols migrateurs ont fondé le plus ancien
empire connu de la Mésopotamie;
on verra dans le paragraphe suivant que les
fondateurs de cet empire étaient les descendants
des Mongols domesticateurs de chevaux, et, à la
fin du chapitre VII, que cet empire fut détruit
environ vingt-cinq siècles avant notre ère et
remplacé par l'empire mède de Bérose.
Quant à l'époque de la transition chez les
Mongols ou Proto-Chinois de l'usage de la pierre
à celui des métaux pour la confection des armes
et instruments, nous n'en pouvons rien dire de
certain, tant les opinions des auteurs chinois
varient sur ce sujet, comme on peut le voir dans
les Recherches du Père Prémare.
Piétrement
1882
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