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Nous avons laissé passer
sans observation les couleurs attribuées aux
chevaux de l'Iliade
par le traducteur; mais il
convient de revenir sur ce sujet et d'insister
sur les qualités et sur le mode d'utilisation
des chevaux qui prirent part à la guerre de
Troie.
Il est
permis de raisonner comme si toutes les
indications de l'Iliade se
rapportaient à des faits réels; car ce
poème présente une peinture fidèle des
moeurs et des coutumes de la Grèce et de
l'Asie mineure à l'époque de la guerre
de Troie, (XIIIe siècle avant notre ère)
(D'après les calculs les plus probables,
la prise de Troie eut lieu vers l'an 1280
avant notre ère. Voyez Fréret,
Recherches sur la chronologie de l'Histoire
de la Lydie, dans
les Mém. de l'Acad.
des inscriptions, t. V, 1729, p286-287) et des
deux ou trois siècles qui suivirent ce
grand évènement; on peut même affirmer
que, sous ce rapport, l'Iliade est plus
vraie que la plupart des ouvrages
historiques écrits par le Français
avant le XIXe siècle. |
Un homme n'a pas forcément les cheveux noirs ou
roux parce qu'il s'appelle Lenoir ou Leroux; son
premier ancêtre du même nom peut avoir eu seul
la chevelure ou la barbe d'une telle couleur.
Mais une jument, appartenant à un particulier et
portant le nom de la Blonde ou celui de la Grise,
est nécessairement une jument alezane ou une
jument grise. Il importe donc de s'arrêter d'abord
sur les noms de chevaux signalés dans l'Iliade.
Le premier cheval
d'Achille et le premier cheval d'Hector
portaient le nom de Xanthe qui signifie
rouge jaunâtre ou blond ardent; c'est
une épithète souvent donnée au blond
Ménélas. Ce mot peut donc signifier
également bai clair ou alezan clair, et
il signifiait probablement l'un et l'autre;
car il est douteux que les anciens Grecs
aient distingué, comme nous, les chevaux
de nuance rouge d'après la couleur de
leurs crins et de leurs extrémités;
rien n'indique du moins qu'ils l'aient
fait. Il est toutefois certain qu'ils
avaient des chevaux bais et de chevaux
alezans.
Ainsi, le coursiers à la blonde
crinière de la réponse d'Achille aux
envoyés d'Agamemnon étaient
incontestablement des chevaux alezans.
L'étalon à la noire crinière, dont
Borée prit la forme pour féconder les
juments d'Erichtonios, devait être un
cheval bai; et tel devait être aussi le
fameux cheval Arion, qu'Hésiode
représente avec des crins noirs, attelé
au char de Héraklès, ou Hercule le
Thébain, fils d'Alcmène et d'Amphitryon,
lors du combat de ce héros contre Kyknos
ou Cycnos, fils de Mars (Hésiode, le
bouclier de Héraklès, vers 120:
page 43 de la traduction de Leconte de
Lisle )
Les cent cinquante juments , ravies par
Nestor à l'Eléen Itymonée, pouvaient
être baies, comme le dit le traducteur;
mais elles étaient peut-être alezanes;
ou, ce qui est plus vraisemblable, les
unes étaient sans doute baies et les
autres alezanes. |
Quant au cheval à
pelote en tête qui remporta le prix de
la course, attelé au char de Diomède,
sa couleur est indiquée par le mot phoinix,
lequel, de même que les mots latins phoeniceus,
rutilus et spadix, " désigne
le rouge le plus brillant et le plus vif,
tel que celui qui éclate sur les fruits
du palmier avant leur complète maturité
."(Aulu-Gelle,
Nuits attiques, II,26)
On conçoit donc que Giguet ait rendu ce
mot par l'expression "robe bai
éclatante", bien que la robe ait
également pu être alezane; aussi Mme
Dacier l'a-t-elle traduit par le mot
rouge, ce qui est plus littéral.Le nom du second
cheval d'Achille était Balie qui
signifie également pommelé et rapide à
la course: ce qui laisse dans l'incertitude
sur le sens de ce nom.
Le second cheval d'Hector et l'un des
chevaux de Ménélas s'appelaient Podarge,
mot qui signifie également aux pieds
rapides et aux pieds blancs, c'est à
dire qui a des balzanes.
Il est encore impossible de savoir au
juste quel est, dans le cas présent, le
vrai sens du mot, bien que le sens "aux
pieds rapides" soit plus probable. C'est
ce que semble indiquer le même nom
donné plus haut par Homère à l'une des
Harpies, qui sont dans Hésiode des
êtres aux ailes aussi rapides que le
vent. (Hésiode,
Théogonie, page 11)
|
Le troisième
cheval d'Hector s'appelait Aethon, de
même que la jument précitée d'Agamemnon
s'appelait Aethé. Ces noms signifient
ardent, au propre et au figuré, mais
aussi rouge comme le feu, et même par
extension brûlé, c'est à dire
noirâtre.
C'est ce qui explique pourquoi Giguet a
rendu par superbes, Emile
Pessonneaux par bouillants, C.
Leprevost par noirs, et la
traduction latine de l'édition Didot par
rutili, l'épithète aethones
donnée par le poête aux chevaux d'Asios,
comme on l'a vu ...
C'est la traduction latine qui doit être
dans le vrai, et la robe de tous ces
chevaux devait être rouge, puisque le
nom d'Aethon est également porté par l'un
des chevaux du Soleil dans la mythologie
grecque.
Le quatrième cheval d'Hector se nommait
Lampos c'est à dire brillant, éclatant,
et par extension illustre. Ce nom n'indique
donc en réalité aucune couleur
particulière, bien qu'il ait peut-être
été donné plus spécialement aux
chevaux alezans, puisque c'est aussi le
nom de l'un des chevaux de l'Aurore (Homère, Odyssée,
chant XXIII, vers246)
Enfin le troisième cheval d'Achille s'appelait
Pédase c'est à dire le fougueux, le
bondissant, nom qui n'a aucun rapport
avec la couleur de la robe de ce cheval. |
Les considérations
précédentes ne laissent déjà plus aucun doute
sur l'antiquité de la présence des chevaux à
robes rouges de diverses nuances, aussi bien en
Grèce qu'en Asie Mineure.
L'existence des chevaux blancs est prouvée par
les chevaux précités de Rhésos, roi des
Thraces; par la mention des ancêtres aux blancs
coursiers du Thessalien Jason, chef de l'expédition
des Argonautes; (Pindare IVe
Pythique, vers 117; p 95 de la traduction de
Poyard.) ainsi que par
les noms de Leucippe, [....]
L'antiquité de l'existence des chevaux noirs en
Grèce et en Asie Mineure est prouvée non
seulement par le nom des trois Mélanippe de l'armée
Troyenne, [....], mais encore par les noms de:
Mélanippe, [....]
Quant à l'antiquité de l'existence des chevaux
jaunes, fauves ou isabelle elle est prouvée par
le nom de Chrysippe, fils de Pélops (Pausanias,
IV, 20; tome III, p 374; Thucydide, I, 9).
En effet, Leucippe signifie "possesseur d'un
ou de plusieurs chevaux blancs"; Mélanippe
signifie "possesseur d'un ou de plusieurs
chevaux noirs", et Chrysippe signifie "possesseur
d'un ou de plusieurs chevaux jaunes", aussi
sûrement que Chrysocome, surnom d'Appolon,
signifie "possesseur d'une chevelure blond
doré".
Il est vrai qu'on ignore si les Leucippe, les
Mélanippe et les Chrysippe en question, qui ont
vécu dans les temps héroïques de la Grèce,
ont réellement possédé des chevaux blancs, des
chevaux noirs, et des chevaux isabelle; mais on
sait du moins que l'existence de chevaux blancs,
de chevaux noirs et de chevaux isabelle, a seule
pu déterminer la formation de ces trois noms,
dont l'origine se perd dans la nuit des temps.
Or, la constatation de l'existence des quatre
sortes de robes, blanches, noires, rouges et
jaunes, chez les chevaux des temps héroïques de
la Grèce et de l'Asie Mineure, suffit pour
indiquer qu'on recontrait déjà chez eux une
aussi grande variété de robes que chez nos
chevaux actuels.
Plusieurs indications de l'Iliade,
notamment le nom de Xanthe donné aux premiers
nommés des chevaux d'Achille et d'Hector, les
coursiers à la blonde crinière de la réponse d'Achille
aux envoyés d'Agamemnon et les cent cinquante
juments rouges que Nestor se flatte d'avoir
enlevées à Itymonée, indiquent en outre que
les anciens Grecs avaient une affection toute
particulière pour les chevaux de robe à fond
rouge; et leur goût prononcé pour la couleur
rouge en général est d'ailleurs accusée par
maints indices.
Nous en signalerons deux qui se rattachent
directement à notre sujet.
Ainsi Homère
fait cette comparaison:
" Tel est l'ivoire
qu'une femme de Méonie ou de Carie a
coloré de pourpre, et qui doit orner le
frontail des coursiers; elle l'étale
dans sa demeure, joyau convoité par la
multitude, mais réservé aux rois;
parure de l'attelage, honneur du cavalier.
(Iliade, IV, p 50) |
Hésiode dit de son côté:
"Héraklès
tua Kyknos, fils magnanime d'Arès. Il le
rencontra dans un bois sacré de l'Archer
Apollon, lui et son père Arès,
insatiable de combats, tous deux
resplendissant sous leurs armes de la
splendeur du feu ardent, debout dans leur
char. .... Et alors, Héraklès dit au
brave Iolaos. - "Héros Iolaos... O
cher, saisis promptement les rênes
pourprées des chevaux aux pieds rapides,
....."(Hésiode, Le
bouclier de Héraklès, p 41-42) |
Piétrement 1882
|
1° préférence pour les chevaux des provinces
situées au nord du détroit des Thermopyles et
de ceux de l'Asie Mineure.2°
Les coursiers utilisés dans les combats et dans
les courses, par les Grecs des temps héroïques,
paraissent avoir été des chevaux entiers et des
juments;
|
Glaucos, petit fils de
Bellérophon, donne déjà à l'Argolide l'épithète
de "fertile en coursiers" (Homère,
Iliade, VI, p 84) et l'Iliade,
montre qu'il y avait de très bons chevaux dans
toute la Grèce; mais les faits suivants nous
paraissent indiquer que les anciens Grecs
plaçaient au-dessus des chevaux de la Grèce
proprement dite, située au sud du détroit des
Thermopyles, les chevaux des provinces situées
au nord de ce détroit et ceux de l'Asie Mineure.
Cinq héros grecs
seulement avaient osé disputer le prix
de la course de chars aux jeux funèbres
célébrés de l'honneur de Patrocle: c'étaient
Mérion, Antiloque, Ménélas, Eumèle et
Diomède.
Les chevaux du Crétois Mérion devaient
être crétois, puisque le poète ne
mentionne pas leur origine étrangère.
Les chevaux d'Antiloque étaient nés
dans Pylos; le vieux Nestor avoue qu'ils
composaient l'attelage le moins rapide
des cinq; mais il espère, par ses
conseils, faire gagner le prix à son
fils, ce qui indique que ses chevaux
avaient une certaine valeur.
Le Podarge de Ménélas et la jument
Aethé de son frère Agamemnon étaient
tous deux rapides; Podarge devait être
né dans l'Etat de Lacédémone, puisqu'on
ne mentionne pas son origine; et la
jument Aethé avait été donnée à
Agamemnon par Echépole, fils d'Anchise
de Sicyone, ville du Péloponnèse. |
Au-dessus de tous
ces chevaux d'origine grecque brillaient
les cavales d'Eumèle, les plus rapides
des coursiers appartenant aux héros
grecs, après ceux d'Achille. Or on a vu
que les cavales d'Eumèle étaient nées
dans la Piérie, province de Thessalie.
Quant aux coursiers qui firent gagner le
prix à Diomède, on se rappelle que c'étaient
des chevaux nés au pied de l'Ida, en
Asie mineure, et ravis à Enée.
Mais aucun de ces chevaux n'était
comparable aux trois coursiers d'Achille,
dont l'un, Pédase, avait été enlevé
par ce héros dans la ville d'Eétion; et
cet Eétion, père d'Andromaque, règnait
à Thèbes en Cilicie.
Pédase était donc aussi un cheval d'Asie
Mineure; et les deux immortels Xanthe et
Balie étaient également étrangers à
la Grèce, puisque Pélée les avait
reçus de Neptune.
|
Or un présent de Neptune
est aussi sûrement un objet venu d'outre-mer qu'un
objet fabriqué par Vulcain ou un don de Vulcain
est l'oeuvre d'un habile forgeron. En faisant
naître Xanthe et Balie sur les rives du "fleuve
Océan" et en les faissant engendrer par le
souffle du vent, il ne serait pas étonnant qu'Homère
eût voulu faire allusion aux chevaux de la
Lusitanie, qui étaient engendrés de la même
façon, c'est à dire, pour abandonner le langage
figuré, qui étaient très rapides à la course
comme ceux d'Erichtonios. Homère pouvait en
effet avoir entendu parler de la vitesse des
chevaux de la Lusitanie par les navigateurs
phéniciens.
Dans le cas contraire, il faudrait supposer qu'il
a voulu faire allusion aux chevaux des provinces
asiatiques les plus éloignées d'entre celles
qui étaient connues des Grecs de cette époque,
et qui étaient aussi censées entourées par l'
Océan. Mais ce qui est certain, on ne saurait
trop le répéter, c'est que les coursiers d'Achille
sont donnés comme des chevaux venus d'outre-mer.
-
Les coursiers utilisés dans les combats et dans
les courses, par les Grecs des temps héroïques,
paraissent avoir été des chevaux entiers et des
juments; car si les chevaux d'Antiloque avaient
été des chevaux hongres, il ne leur eût sans
doute pas adressé cette apostrophe, au moment
où ils se laissèrent dépasser par ceux de
Ménélas, dans la course présidée par Achille:
"Ventre à
terre! allongez le pas!... Vivement! ne
souffrez pas qu'une cavale, qu'Aethé,
vous couvre de honte." (Iliade, XXIII,
p131) |
Ce qui prouve encore l'estime
des anciens Grecs pour les chevaux entiers, c'est
qu'ils considéraient les coursiers attelés au
char du Soleil comme des chevaux mâles,arsenes
hippoi (Homère, hymne XXXI,
au Soleil, vers 14.)
Les Grecs ont toutefois eu
de très bonne heure l'habitude de châtrer ceux
de leurs chevaux qu'ils destinaient à des
services plus modestes, puisqu'on lit déjà dans
Hésiode:
"Le huitième
jour du mois, châtre le pourceau et le
boeuf mugissant, et, le douxième, les
mulets patients.... C'est un bon jour (le
seizième) pour châtrer les chevaux et
les béliers, et pour entourer l'étable
d'un enclos".(Hésiode, les
travaux et les jours, liv II, p 82) |
[....]
Piétrement 1882
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