EPOREDO
.
Chevaux
arabes
Le cheval arabe chez les Bédouins
*
......... .Pour
terminer, disons quelques mots sur le cheval arabe chez
les Bédouins de la péninsule arabe, tel qu'il m'est
apparu au cours de mes voyages.
.......... Le
Bédouin ne parle pas de ses chevaux, mais de ses juments
("Faras"). C'est la femelle et non le mâle qui
transmet le nom de la lignée. C'est elle qui accompagne
son maître dans ses combats et ses razzias. Elle occupe
également une part vitale dans ses transactions, car
l'étalon ne rapporte presque rien, vendu qu'il est à
l'âge d'un ou deux ans. De nos jours, un campement de
Bédouins ne conserve qu'un étalon pour vingt à
quarante juments, ce qui exclut presque complètement la
conservation des différentes caractéristiques et, dans
la plupart des cas interdit lélevage des bêtes de sang
pur.
.......... En
général, c'est le cheik qui s'occupe des étalons; il
assume les dépenses correspondantes à leur entretien et
leur laisse prendre de l'exercice en dehors du campement,
la plupart du temps contre le vent et hors de la vue des
juments. Celles-ci ne sont entravées que par les pattes
de devant et peuvent par conséquent se déplacer
librement pour paître; de même, on les attache rarement
la nuit à un piquet de tente, mais les étalons
demeurent toujours entravés et à l'attache, c'est à
dire qu'un pâtre les tient par la longe pendant qu'ils
paissent. En été, dès que les Bédouins arrivent dans
le voisinage des Arabes sédentaires de Syrie et de
Mésopotamie pour utiliser les poins d'eau de leurs
villages, ils échangent tous les jeunes étalons contre
des vivres et des marchandises.
......... Chez les
Bédouins les juments subissent de grosses épreuves
d'endurance et doivent supporter la soif, la faim, et la
douleur. La vie du désert impose à l'homme et à la
bête de grandes misères. Seul arrive à survivre le
plus fort, le plus tenace, et il faut qu'il déborde de
santé et d'énergie. Que sont en comparaison nos
épreuves de piste de champ de course ou même
d'endurance?
......... Le
Bédouin continue à monter sa jument jusqu'à son
dernier jour de grossesse. Si elle commence à metttre
bas au cours d'un combat, son propriétaire est autorisé
à l'emmener à l'écart dans un coin tranquille;
personne ne les attaquera et elle pourra revenir chez
elle avec son nouveau-né, en toute sécurité.
......... Même les
juments les meilleures et de la race la plus pure
présentent un aspect pitoyable et portent les traces de
fatigues et des souffrances subies: hanches creuses,
côtes saillantes, peau écorchée. Presque toutes
reviennent blessées au campement, à moitié mortes de
faim et de soif, mais elles continuent à courir la tête
et la queue hautes, et les oreilles dressées. Leurs
grands yeux brillent dans leur tête décharnée, leur
cou demeure dur comme de l'acier malgré sa minceur; et
en dépit de plusieurs jours de galop cruel sur des
distances interminables et sur un sol parsemé de
pierrailles, leurs pieds restent intacts, sans enflure.
......... J'avais
promis à un éleveur américain de l'emmener avec moi en
Arabie. Il possédait un arabe authentique et plusieurs
autres qui l'étaient beaucoup moins. Au cours de nos
randonnées dans le désert en compagnie de mes amis
Rouala, Would-Ali, Saba et Fidan-Anaz, en m'entendant
m'extasier sur la beauté et la noblesse de la tête de
leurs juments, il eut finalement un accès de désepoir
devant ces "ruines". Deux ans plus tôt un
autre Américain m'avait dit: "Garde donc tes
antiquités pour toi!" Le résultat fut qu'il se
rendit seul à Alep où il acheta à un Syrien une jument
de paysans tout à fait "kedich" (pas de race
pure) bien qu'elle eût remporté un prix dans un
concours. A Beyrouth il acquit également un étalon
soit-disant kurde (!) dans un élevage où de mémoire
d'homme on n'avait jamais vu un seul pur-ssang. Quelle
descendance peut-il attendre du croisement d'une jument
de paysans et d'un étalon kurde? De tels éleveurs
discréditent compètement le sans arabe.
.......... J'avoue
qu'il est difficile d'acheter des chevaux dans le
désert, car les Bédouins, qui ne sont pas des
commerçants, les présentent sans aucun fard.
.......... Mais avec
quelle rapidité les bêtes exténuées et fidèles se
remettent de leurs épreuves. Il leur suffit de quelques
semaines. Le propriétaire d'une jument de qualité est
souvent très pauvre; mais sa jument lui vaut le respect
d'autrui. On raconte de l'un d'eux que ses amis se
levèrent en l'accueillant au conseil des anciens pour
rendre hommage à sa célèbre jument de guerre ! En
passant devant elle, tous lui caressaient le front en
murmurant des paroles de bénédiction. L'Arabe a pour
ses juments mille louanges diverses, et on ne l'entend
jamais proférer l'un de ces jurons courants chez de
nombreux cavaliers de chez nous. La vie du désert est
dure et rapproche l'homme et son cheval qui partagent
joies et misères. Un troisième être fait partie de
cette alliance, le "Dhaloul", le chameau de
selle dont la femelle, après avoir mis bas au printemps,
nourrit la jument quand il n'y a plus d'eau ni de
fourrage.
......... Pour les
Bédouins, le plus important est qu'une jument soit
"Asil", de race pure et noble. Le mot
"Asil" s'emploie pour désigner le palmier à
datte issu d'une marcotte prélevée sur un arbre
femelle.; des racines d'un palmier sortent toujours
quatre à douze rejetons ou "Asil". En matière
d'élevage les Bédouins emploient la même expression.
Nayf, le jeune fils du cheik Michal, chef des Chammar,
m'emmena visiter une tente voisine pendant l'hiver
1927-28. J'y vis une très belle jument: "Est-elle
asil? demandai-je. - Nous n'en savons rien" , et il
ne voulut même pas m'indiquer sa sous-race. J'avais
envie de l'acheter car on me l'offrait pour soixante
livres or, alors qu'elle en valait au moins six cents.
Mais il me fallait avoir sa généalogie pour la faire
enregistrer plus tard aux Etats-Unis. Le cheik et son
propriétaire refusèrent de me donner la moindre
indication. "C'est une jument Saqlaouiah",
m'exclamai-je enfin. Un conaisseur ne pouvait s'empêcher
de le voir à sa structure et aux caractéristiques de sa
tête. Toutefois s'agisait-il d'une Saqlaouiah-Yidraniah
ou d'une al-Abd, ou de toute autre lignée? On me
répondit qu'elle était kla , c'est-à-dire
qu'elle provenait d'un butin , et que son propriétaire
était mort au cours du combat. L'homme qui en avait
hérité ajouta: "Les Akayls (marchands de chevaux
et de juments de Kasim, Arabie Centrale) achètent nos
juments Chamalyah et celles dont nous ne connaissons pas
l'origine, parce que seule les intéresse la vitesse.
Mais nous, nous ne donnons d'arbre généalogique par
écrit que lorsqu'il s'agit de nos propres juments, car
nous pouvons alors attester leur origine conformément à
la vérité."
......... Quel que
soit le prix qu'on lui offre, un Bédouin ne se portera
jamais garant de l'origine d'un cheval s'il ne la connait
pas, et il ne mentira jamis à ce sujet. C'est pour lui
une question de conscience et de tradition héritée de
ses ancêtres. Les Bédouins m'offrirent la jument en
guise de présent. Je dus expliquer que les prescriptions
du gouvernement américain et celles de nos registres
d'élevage m'interdisaient de l'emmener en Californie
pour en faire une reproductrice: il me fallait son arbre
généalogique . Et puis, ne serait-ce pas faire injure
à cette bête magnifique que de la prendre avec moi
quand même, et de la considérer comme un banal cheval ?
Tous s'eclamèrent alors d'une seule voix: "Par
Allah, elle est vraiment asil ! " mais ce
témoignage d'authenticité ne me suffisait pas et je
pris congé sans l'acheter. Trois mois plus tard, un
Amarat-Anaza apparut au campement du cheuik Michal afin
de réclamer le prix du sang pour son parent, l'homme qui
avait été tué. Il commença par certifier qu'il
s'agissait bien d'une Saqlaouiah-Yidraniah.
Malheureusement je me trouvais alors à neuf cents
kilomètres de là , chez les Rouala.
.........Le
Bédouin de la péninsule arabe a un caractère
fondamentalement différent de celui de l'Afrique du
Nord. Ce dernier aime déployer un faste éclatant tandis
que celui de l'Arabie vit et s'habille de façon modeste
et naturelle. Et il en et de même pour les chevaux. La
monture berbère est surchargée d'ornements, elle porte
une haute selle avec de grands étriers acérés qui la
blessent; elle doit supporter un mors cruel et souvent le
fouet. Le Bédouin d'Arabie n'impose à sa jument qu'un
licou de laine, il n'emploie même pas une bride pour la
diriger: elle obéit à sa voix et à la pression des
cuisses. Bien peu possèdent une selle et la plupart
chevauchent à même l'animal ou jettent sur son dos une
peau de gazelle ou de panthère. Depuis peu ils utilisent
également une sorte de selle-coussin que les Arabes
sédentaires de Syrie et de Mésopotamie emploient depuis
des générations. Le talon nu remplace l'éperon et le
fouet. Jamais le Bédouin ne châtre un étalon. Si une
bête ne lui plait pas, il la vend au commerçant qui,
l'été visite son campement. Il ne réclame aucune
rémunération s'il prête son cheval. Comme Abd el-Kader
l'a dit: " Nous ne vendons pas l'amour de nos
chevaux." Habituellement le propiétaire offre un
petit présent à l'esclave qui s'occupe de son étalon.
........ Jamais
un Bédouin n'attache sa jument par la tête. Lorsqu'il
se repose en cours de route, il la laisse paître à
proximité et se contente de lier la longe à sa jambe
arrière gauche ou de lui entraver les pieds. Elle doit
avoir l'impression de la liberté pour pouvoir
reconnaitre du nez, des oreilles et des yeux tout homme
ou tout animal qui approche. Aussi les chevaux des
Bédouins ne sont jamais farouches ni nerveux. Personne
ne les soigne. Le vent qui souffle continuellement les
débarrasse de la poussière et de la boue sèche; la
main ou le sac d'orge remplace la brosse et l'étrille et
suffisent à redonner à la robe l'éclat qu'elle avait
perdu. La plupart du temps, les chevaux sont "pied
nu" comme disent les Arabes, et on ne protège leurs
sabots au fer plat que lorsqu'on traverse une région de
pierraille ou de lave. En plus de l'herbe rare et sèche
du pâturage, il suffit quatre fois par jour d'une ration
de dattes ou d'orge que le maître mesure dans la paume
de ses deux mains (environ un litre quotidiennement),
pour qu'une jument soit en forme parfaite. Au printemps,
elle profite de l'abondance du lait de chamelle. Sans
aucun doute, le pur-sang arabe demeure d'une taille
modeste à cause des privations qu'il subit dans le
désert. Dès qu'il mange régulièrement, qu'il est
l'objet de soins éclairés et d'un entraînement
raisonnable et sévère, il prend plusieurs centimètres
en deux générations.
.........Le
cheval arabe est sur le point de disparaître également
dans sa patrie d'origine. Les guerres, les razzias, les
soulèvements, la pénétration de la civilisation
occidentale se joignent à l'indifférence grandissante
du bédouin en matière d'élevage, et sa négligence
compromet l'existence de l'animal le meilleur et le plus
noble que le destin lui ait confié.
.........Il faut
être extrêmement prudent si l'on achète des chevaux en
Syrie et en Mésopotamie. J'ai vu de mes propres yeux, à
proximité de Mossoul, des éleveurs syriens et irakiens
faire couvrir par des étalons arabes des juments
européennes, australiennes et sud-africaines que les
troupes britanniques avaient laissées sur place. Ces
demi-sang à l'aspect de chevaux de course étaient
revendus comme pur-sang à Bagdad, au Caire et à Bombay.
.........Un
étalon de Beyrouth importé en Egypte il y a trente-cinq
ans gagnait régulièrement toutes les courses de chevaux
arabes du Caire. Une enquête prouva qu'il était le fils
d'un pur-sang anglais et d'une jument syrienne, et que,
dès avant sa naissance, on avait pris toutes les
précautions pour lui donner autant que possible la
nature et l'aspect d'un arabe. On avait d'abord envoyé
sa mère de Beyrouth à Chypre pour la faire couvrir par
"Téméraire", puis de retour à Beyrouth, on
la confia à des Bédouins du désert chez lesquels elle
mit bas. Le poulain revint à Beyrouth comme un
véritable arabe né dans le désert. Adulte, il fut
vendu en Egypte où la commission des courses l'incrivit
comme arabe sans rien y redire. Il lui fallut remporter
victoire sur victoire pour que sa vitesse éveillât les
soupçons des connaisseurs.
......... Souvent
on raconte des choses incroyables sur l'endurance du
cheval arabe, et je pourrais moi-même citer des cas qui
ne le cèdent en rien à celui que rapporte Fraser, et
selon lequel un pur-sang fit le trajet aller et retour de
Chiraz à Téhéran, soit deux mille six cent trente
kilomètres, en dix-huit jours. Selon un rapport
officiel, le capitaine Tompkins du 10e
régiment de cavalerie de l'armée américaine, monté
sur "Razzia" a parcouru le 30 octobre 1913, en
quinze heures trente minutes, trois cent trente quatre
kilomètres et demi de Northfield dans le Vermont au fort
Ethan Allen et retour, par un terrain particulièrement
difficile et accidenté. "Razzia", étalon
alezan Oubbayan-Charrak de six ans, avait pour
grand-père paternel et maternel
"Messaoud" (Asil), le Saqlaoui-Yidran le plus
célèbre de son époque. Chez les Arabes, l'inceste est
la pierre de touche de la pureté, de la noblesse, et par
conséquent de la puissance du sang.
......... Les
Bédouins de certaines tribus considèrent les chevaux
noirs comme des animaux dépourvus de noblesse, et cela
par superstition. Ils ont une prédilection pour les
chevaux blancs avec sous les poils fins leur peau d'un
noir de charbon, ce qui fait que leur robe satinée a des
reflets d'argent tandis qu'elle brille comme du vieil or
chez les alezans. Il n'y a pas d'albinos chez les arabes
authentiques, mais il s'en trouve souvent parmi les
chevaux syriens et d'Afrique du Nord. Les teintes les
plus fréquentes sont le blanc, le jaune alezan et le
brun. Des taches noires, la plupart du temps à des
endroits dépourvus de poils ou couverts d'un léger
duvet qui laisse transparaître la peau, sont, comme chez
les lévriers et les gazelles, un signe de santé,
d'endurance et de bonne race.
.......... Les
arabes vivent plus longtemps que les autres chevaux de
race et leur période d'utilisation est également plus
longue. Des juments âgées de plus de trente ans
continuent à mettre bas jusqu'à la dernière année de
leur vie. "Hazem" mit dix-huit poulains au
monde avant d'être abattue à l'âge de trente ans, à
l'autopsie, tous ses organes étaient intacts. Des
étalons de plus de trente ans continuent à reproduire
dans les haras européens et américains, et cela avec
des résultats excellents. On a longtemps prétendu que
l'arabe dégénère dans un climat étranger. Cela se
produit parfois dans un pays humide, froid ou chaud, où
des soins inopportuns peuvent ruiner sa santé si bien
que son aspect s'en ressent. Mais l'exemple de
l'Angleterre et surtout de Crabbet-Park, le plus grand
haras du pays où l'on élève des arabes depuis plus de
cent ans, prouve que le maintien du type est une question
de pureté du sang. C'est le cas des chevaux sauvages de
Przewalsky et des zèbres de tous les jardins zoologiques
du monde, comme celui des Koniks, des Huzules, de vrais
chevaux norvégiens et des poneys authentiques.
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