Les peuples aryens
et leurs chevaux en Asie mineure et en Grèce
(chapIV,§4) (suite) "Quoique de toute
antiquité la Grèce ait possédé des hommes
également habiles à monter les chevaux et à
conduire les chars, Homère ne montre pas un seul
héros combattant à cheval sous les murs de
Troie. Toute la cavalerie de l'Iliade
est montée sur des chars,[...] " Piétrement
|
.
|
A côté de ses avantages incontestables, l'usage
des chars de guerre avait plusieurs
inconvénients, qui sont assez manifestes pour qu'il
soit inutile de les énumérer.
Il suffit de faire observer que cette façon de
combattre était extrêmement onéreuse, en ce
sens qu'il fallait au moins deux chevaux et deux
hommes pour fournir un combattant.
C'est probablement l'une des raisons qui l'ont
fait abandonner des peuples de l'Asie Mineure et
de la Grèce, à une époque qu'il est difficile
de fixer avec précision, pendant la période
comprise entre la guerre de Troie et le début
des guerres médiques, qui seraient mieux
nommées persiques, c'est à dire entre le XIIIe
et le VIe siècle avant notre ère.
[...]
A partir de l'invasion de l'Asie Mineure par
Cyrus et de la Grèce par ses successeurs, on
ne voit plus en effet figurer de
chars de guerre chez les peuples de ces
deux contrées, bien que l'usage de ces
véhicules n'ait été abandonné que plus tard
dans l'Inde et en Perse, comme on l'a déjà vu,
et dans d'autres régions du globe, comme on le
verra dans les chapitres suivants.
On ne rencontre plus que des chevaux
montés, dans les armées de Cyrus et
des autres rois Achéménides de la Perse.
Il est vrai que
"Antiochus et
Mithridate se servirent, dans leurs
guerres contre les Romains, de chariots
armés de faux, qui firent d'abord
beaucoup de peur et dont on se moqua
ensuite." (Végèce, Instit
milit., III, 24). |
Tite-Live
qualifie aussi d'épouvantail dérisoire
les quadriges armés de faux qu'il décrit et qu'il
montre avoir causé la défaite de leur
possesseur, Antiochus le Grand, à la bataille de
Magnésie, en l'an 191 avant notre ère (XXXVII,
40-42) . Mais c'étaient des
efforts infructueux pour rétablir l'usage des
chars de guerre en Asie Mineure, où il était
depuis longtemps remplacé par celui de la
cavalerie proprement dite, comme le prouvent les
faits suivants.
Après la bataille de Ptérie en Cappadoce (545
avant J.C.)
" l'armée
perse traversa la Lydie, et Cyrus fut,
auprès de Crésus, son propre envoyé.
Celui-ci tomba dans une anxiété grande,
car toutes ses prévisions se trouvaient
trompées; il ne laissa pas toutefois de
mener au combat les Lydiens.
Il n'y avait pas alors en Asie de nation
plus vaillante et plus belliqueuse; ils
combattaient à cheval, portaient de
longues javelines et étaient excellents
cavaliers. Les deux armées se
heurtèrent devant Sardes, dans la plaine
grande et stérile que traversent
plusieurs rivières, qui toutes, avec l'Hyllus,
se jettent dans le large cours de l'Hermus....
Sur un tel terrain, Cyrus, lorsqu'il vit
les Lydiens rangés en bataille, trouva
leur cavalerie redoutable, et, par le
conseil du Mède Harpage, fit les
dispositions suivantes;
on débâta toutes les chamelles qui
transportaient pour l'armée des vivres
et les bagages; on les réunit; on y mit
en selle des hommes équipés comme des
cavaliers. (Dans ses Stratagèmes
, liv II, ch IV,§12, Frontin attribue
cette ruse à Crésus; mais c'est un
lapsus évident de cet auteur ou des
copistes).
Elles formèrent la première ligne de
Cyrus; il l'opposa à la cavalerie
lydienne; il ordonna à son infanterie de
suivre les chamelles, et derrière les
piétons il déploya toute sa cavalerie....
et voici pourquoi il opposa ses chamelles
aux cavaliers ennemis.
Le cheval prend ombrage de la chamelle;
il ne peut supporter ni son aspect s'il l'aperçoit,
ni son odeur s'il vient à la flairer.
Par cet artifice, Cyrus voulait rendre
inutile la cavalerie sur laquelle Crésus
comptait pour remporter une victoire
brillante.
En effet, dès qu'on fut aux prises, les
chevaux flairèrent les chamelles, ils
les virent, ils firent volte-face, le
dernier espoir de Crésus s'évanouit;
cependant les Lydiens ne montrèrent
point de faiblesse: lorsqu'ils virent ce
qui se passait, ils sautèrent en bas de
leurs chevaux et combattirent à pied."
(Hérodote, I, 79-80) |
Xénophon
ne mentionne non plus aucun char de guerre dans
les troupes d'Asie Mineure commandées par
Crésus, bien qu'il signale dans son armée:
10000 cavaliers de Lydie, 8000 cavaliers de la
grande Phrygie, 6000 cavaliers de Cappadoce et
6000 cavaliers de Gabée. (Cyropédie,
II, 1)
Après que les peuples
de l'Asie Mineure eurent subi le joug
des Perses, ils furent obligés de fournir des
contingents à l'armée avec laquelle Xerxès
envahit la Grèce (480 avant J.C.) et dans
laquelle Hérodote (VII, 72-75)
fait en effet figurer les Paphlagoniens, les
Phrygiens, les Lydiens, les Mysiens et les
Thraces asiatiques, alors appelés Bithyniens.
En disant que
"toutes
les nations ont de la cavalerie;
toutefois elles n'en fournirent pas
toutes", |
Hérodote (VII, 84)
désigne exclusivement des combattants montés
sur des chevaux, comme dans l'alinea précédent,
car il s'exprime autrement pour désigner l'usage
des chars de guerre. Il ajoute en effet que
" les Indiens...
se servaient tant de chevaux de selle que
de chars attelés de chevaux ou d'ânes sauvages"
(VII, 86) |
et les Indiens sont même
les seuls auxiliaires de Xerxès auxquels
Hérodote donne l'usage simultané des chevaux
montés et des chevaux attelés pour le combat.
Piétrement 1882
|
|
Ces engins de guerre ne furent même pas tout de
suite remplacés par une quantité suffisante de
véritables cavaliers, surtout chez les
Grecs les plus adonnés aux entreprises
maritimes.
Dans la guerre des Messéniens et des
Lacédémoniens, la seconde année de la
neuvième olympiade, 743 ans avant Jésus-Christ,
"la
cavalerie était peu nombreuse
et ne fit rien de remarquable, les
Péloponésiens n'étant pas encore très
bons cavaliers "(Pausanias, descr
de la Gr, IV, 6; tome II p287.). |
Deux siècles et demi plus
tard, en l'an 490 avant notre ère, à la
bataille de Marathon, où Miltiades, fils de
Cimon, chef des Athéniens et de leurs alliés,
battit Datis et Artapherne, lieutenants de Darius,
" les Perses,
voyant leurs adversaires charger à la
course, attendirent le choc: à leur
petit nombre, à cette manière d'attaquer
en courant, ils les jugèrent atteints d'une
folie qui allait en un clin d'oeil les
perdre, d'autant qu'ils n'avaient ni
cavalerie ni archers" (Hérodote, VI,
112) |
Si, avant et pendant les
guerres médiques, les différents peuples de la
Grèce proprement dite n'avaient que peu ou point
de cavalerie, cela ne tenait ni à un
afaiblissement momentané de leurs goûts
équestres, ni à la nature de leur sol, comme on
a voulu le dire.
L'élève du cheval était resté en honneur, non
seulement sur la terre ferme, mais aussi dans les
îles dont le sol se prêtait à cette industrie,
comme l'indique le nom d'Hippobotes (éleveurs de
chevaux) que l'on donnait aux riches citoyens de
Chalcis en Eubée, ainsi que nous l'apprend
Hérodote (V,77), en racontant comment ils furent
asservis par les Athéniens en l'an 506 avant
notre ère.
Pendant que Léonidas se sacrifiait aux
Thermopyles avec une poignée de héros pour le
salut de la patrie, et que la flotte grecque se
préparait à livrer la bataille de Salamine, les
Grecs célébraient la LXXVe fête olympique (480
avant notre ère);
"ils
assistaient au spectacle des jeux
gymniques et des courses de chars " (Hérodote, VIII,
26). |
Enfin, après que la
Grèce eut été dévastée par la conquête
romaine, Strabon
disait encore, à propos du territoire de
Mégapolis, situé en Arcadie, au centre du
Péloponnèse:
" Le pays
abonde en excellents pâturages, où l'on
élève surtout des chevaux et les ânes mulassiers.
Les chevaux d'Arcadie passent même pour
être de race supérieure, comme ceux de
la plaine d'Argos et de l'Epidaurie. L'Etolie
et l'Acarnanie, pays également très
dévastés, renferment de même d'immenses
espaces qui, pour l'élève des chevaux,
ne le cèdent pas aux gras pâturages de
la Thessalie." (Strabon, VIII,
VIII, 1) |
C'était donc moins le
manque de chevaux que le manque d'argent qui
était la cause de l'absence ou de la faiblesse
de la cavalerie, chez les peuples de la Grèce
proprement dite, vers le début des guerres
médiques.
Quelques peuples grecs, tels que les Macédoniens,
les Phocéens, les Thébains ou Béotiens et les
Thessaliens, possédaient toutefois depuis
quelques temps une cavalerie plus ou moins
estimable.
Les Thessaliens surtout avaient déjà une
excellente cavalerie,
"qui n'était
pas moins bien exercée au combat que
nombreuse" ( Pausanias, Descr
de la Gr, X, 1; t. V, p 254. Voy aussi Hérodote, VII, 27-28.). |
En l'an 510 avant notre
ère, le chef des Pisistratides, Hippias, avait
même déjà fait venir à son secours mille
cavaliers thessaliens, commandés par leur roi
Cinéas; ce qui ne l'empêcha pas d'être
expulsé d'Athènes (Hérodote, V, 63).
Dès la fin du VIIIe siècle avant notre ère, on
voit aussi des cavaliers au service du roi de
Macédoine, qui régnait à Lébée, et qui fut
depuis détrôné par Perdicas Ier, le septième
ancêtre d'Alexandre fils d'Amyntas (Hérodote,
VIII, 137-138).
Piétrement 1882
|
haut
groupe de cavaliers grecs (4eme
s av J.C), ( musée Antique de l'Agora d'Athènes)
.
|
Mais, au début des guerres médiques, les
peuples de la Grèce, surpris au milieu de leurs
dissensions ou de leur isolement, n'avaient pas
eu le temps de se concerter.
Dans le dessein de faire la guerre au Egineètes,
Thémistocles venait de faire construire deux
cents vaisseaux de combat, avec les richesses qui
avaient été tirées des mines du Laurium et que
les Athéniens voulaient se partager; et c'est en
partie cette flotte, destinée à l'asservissement
d'une nation grecque, qui sauva la Grèce du joug
de l'étranger (Hérodote, VII,
144).
Du reste, très peu de temps après Marathon, les
Macédoniens, les Thessaliens, les Phocéens et
les Béotiens devinrent, de gré ou de force, les
auxiliaires de l'ennemi, et, dans le cours des
événements, les Thessaliens rendirent de très
grands services au roi de Perse (Hérodote,
VI, 44-45; VII, 132 et 172-174).
A la baraille de Platée, en l'an 479 avant
Jésus-Christ, on voyait dans l'armée de
Mardonius, lieutenant de Xerxès, les Béotiens,
les Locriens, les Maléens, les Thessaliens,
mille Phocéens, les Macédoniens et les peuples
qui demeuraient autour de la Thessalie (Hérodote,
IX, 31).
L'avant-dernière nuit qui précéda cette
bataille,
"Alexandre,
fils d'Amyntas, général et roi des
Macédoniens, poussant son cheval vers
les sentinelles des Athéniens, vint les
prévenir des desseins de Mardonius; puis,
tournant bride, il regagna le camp des
Mèdes, où il reprit son poste" (Hérodote, IX, 44-45). |
Les Béotiens, au
contraire, notamment leurs cavaliers, firent tous
leurs efforts, à l'affaire de Platée, pour
empêcher le triomphe de l'armée grecque, qui n'eut
d'ailleurs guère à se plaindre, en cette
journée, des autres Grecs du parti ennemi (Hérodote,
IX, 67-69).
En énumérant les cent dix mille hommes de l'armée
grecque présents à Platée,
Hérodote (IX, 28-30) dit combien
chacun des nombreux petits peuples confédérés
avait fourni d'hommes pesamment armés à la
légère, mais il ne dit pas un mot de la
cavalerie.
En donnant, dans les quatre-vingts premiers
chapitres de son IXe livre, des renseignements
très circonstanciés sur les péripéties de
cette bataille, ainsi que sur les marches et sur
les escarmouches qui la précédèrent, il
signale très souvent le rôle important joué
par la cavalerie perse et par la cavalerie
grecque du parti ennemi; mais il ne parle pas une
seule fois du rôle que la cavalerie grecque
confédérée put avoir dans le combat.
Il raconte seulement (IX,54)
que la veille de la bataille de Platée,
"lorsque le
reste de l'armée se mit en marche, ils (les
Athéniens) envoyèrent un de leurs
cavaliers voir si les spartiates
commençaient à bouger ou s'ils avaient
dessein de ne point changer de place, et,
en tout cas, de demander des ordres à
Pausanias," |
c'est à dire au roi de
Sparte, qui était général en chef de l'armée
grecque.
Il est permis d'en inférer qu'il n'y avait
encore dans cette armée qu'un très petit nombre
de cavaliers à l'affaire de Platée. Leur rôle
paraît même avoir consisté surtout, pour ne
pas dire uniquement, à transmettre et à
rapporter des ordres et des informations.
Indépendamment des cavaliers athéniens
précités, il devait aussi exister quelques
cavaliers lacédémoniens dans l'armée grecque
réunie à Platée, car les anciens font remonter
à Lycurgue, c'est à dire au IXe siècle avant
notre ère, l'institution de la cavalerie
lacédémonienne.
Plutarque
dit en effet dans sa vie de Lycurgue:
"C'est à
Lycurgue que Philostéphanus attribue la
division de la cavalerie en ulames.
L'ulame, tel qu'il l'avait constitué,
était formé de cinquante cavaliers et
formé en carré ."(Plutarque, Vies
des hom. illust. tome 1, p 124) |
Xénophon
raconte aussi, dans son traité intitulé Gouvernement
des Lacédémoniens,
que Lycurgue a partagé les cavaliers et les
hoplites en six mores; qu'il a prescrit aux
éphores de faire publier par un héraut l'âge
auquel doivent servir soit les cavaliers, soit
les hoplites (chap.11) ; et que, conformément à
la loi de ce législateur,
"quand le roi
marche à la tête des troupes, s'il ne
se montre aucun ennemi, personne ne le
précède, et il n'a devant lui que les
scirites et les cavaliers envoyés en
éclaireur" (chap.13). |
Xénophon dit en outre,
dans le chapitre 4, que Lycurgue institua le
corps des trois cents jeunes gens d'élite
auxquels on donne le nom d'hippagrètes
ou chevaliers.
Enfin, en l'an 480 avant notre ère, lorsque
Thémistocles vint à Sparte après la victoire
navale de Salamine,
"les
Lacédémoniens l'accueillirent dignement
et le comblèrent d'honneurs.... Ils lui
firent présent d'un char, le plus beau
qu'il y eut à Sparte; ils lui
produiguèrent les louanges, et quand il
partit, ils le firent escorter par trois
cents Spartiates d'élite, ceux que l'on
nomme les chevaliers, jusqu'aux
frontières des Tégéates." (Hérodote, VIII,
124.) |
Il faut toutefois avouer
que plus tard, à la bataille de Leuctres, 371
ans avant notre ère, les cavaliers
lacédémoniens n'étaient point des jeunes gens
d'élite: ce qui fut l'une des causes de la
défaite des Lacédémoniens et de la mort de
leur roi Cléombrote.
A cette bataille en effet,
"la cavalerie
des Thébains était une troupe exercée
par la guerre avec les Thespiens, tandis
qu'à cette époque les Lacédémoniens
avaient une cavalerie détestable.
C'étaient en effet, les plus riches
citoyens qui élevaient les chevaux; et,
quand on annonçait une campagne, chaque
homme désigné arrivait, prenant le
cheval et les armes qu'on lui donnait, et
partait immédiatement.
En outre, c'étaient les soldats les plus
faibles de corps et les moins désireux
de s'illustrer qui se trouvaient à
cheval." (Xénophon, Hist.
grecq., VI, 4.) |
Piétrement 1882.
|
chevaux de l'ancien quadrige du haut du Mausolée d'Halicarnasse
(BM)
haut
|